Langue des Oiseaux

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La langue des oiseaux consiste à donner un sens autre à des mots ou à une phrase, soit par un jeu de sonorités, soit par des jeux de mots (verlan, anagrammes, fragments de mots…), soit enfin par le recours à la symbolique des lettres. Autrement dit, la langue des oiseaux est une langue tenant de la cryptographie, qui se fonde sur trois niveaux :

  • La correspondance sonore des mots énoncés avec d’autres non dits permet un rapprochement sémantique qui constitue un codage volontaire, soit pour masquer une information, soit pour amplifier le sens du mot premier ;
  • Les jeux de mots utilisés permettent un codage davantage subtil et ésotérique, les mots se reflètent ad libitum : verlan, anagrammes, fragments de mots, etc. ;
  • La graphie enfin, fondée sur la symbolique mystique des lettres des mots énoncés, peut renvoyer à un codage iconique renforçant le sens des mots, comme dans les hiéroglyphes.

Les plus anciens documents dont nous disposons aujourd'hui théorisant la langue des oiseaux sont signés Grasset d'Orcet et Fulcanelli, et remontent à la seconde moitié du XIXe siècle. Ils attribuent néanmoins à la langue des oiseaux des origines immémoriales : elle aurait longtemps été une langue d’initiés, un système de codage occulte lié à l’alchimie et à la poésie hermétique (de Hermès, dieu patron des phénomènes cachés). Elle acquiert une dimension psychologique au XXe siècle, avec les travaux de Carl Gustav Jung ou de Jacques Lacan, qui y voient un codage inconscient permettant d’amplifier le sens des mots et des idées.

Le Dictionnaire des langues imaginaires recense plusieurs entrées en lien avec la langue des oiseaux : langage des animaux, langue des corbeaux, langage de l'extase (mystique), langage ludique, langage du rossignol, langue secrète... Néanmoins il existe des langues farfelues (comme la langue des corbeaux) sans fondements historiques, sûrement inventions de cas pathologiques[1]. Il faut ainsi différencier les « langues secrètes » des langues farfelues, des langues inventées (la langue des grenouilles, d'Aristophane), des jargons et dialectes et des imitations (« langue des animaux » dont Mircea Eliade dit qu'elle consiste à « imiter leurs cris, surtout les cris d'oiseaux »). Finalement, c'est l'existence d'un code caché qui permet de départager ces registres et de repérer l'originalité de la langue des oiseaux.

Principe

L'expression de « langue des oiseaux » consiste à entendre un son plutôt qu'à le lire. Il s'agit donc de ne plus se fier à « l’écrit », mais d'entendre « les cris », ceux des oiseaux, des mots chantés.

L'exemple suivant permet d'en comprendre le principe[2] :

  • phrase codée : « Vois si un mets sage se crée, dit sans les mots »
  • phrase décodée : « Voici un message secret disant les mots »

Le message codé comporte un ensemble d'éléments à interpréter : « vois si », « un mets sage », « se crée », « dit sans les mots ». À la différence de l'amphibologie (phrase qui peut avoir deux sens comme dans « J'ai tué un éléphant en pyjama » : « je l'ai tué alors que j'étais en pyjama » ou « j'ai tué un éléphant qui avait un pyjama »), exemple qui ne prend pas en compte la logique bien entendu, la phrase en langue des oiseaux joue sur l'homophonie des mots la composant. Quant à l'interprétation, elle dépend du contexte et des récepteurs. Le chapitre Fondements historiques livrera les interprétations qui pouvaient exister au sein des groupes usant de la langue des oiseaux. Cet exemple peut être interprété comme une explication codée de ce qu'est la langue des oiseaux : elle nous encourage à dépasser les lettres, mais à privilégier bien plutôt la vision (« vois ») car s'y cache un secret, un savoir : « se crée » (au sens de : un message en naît ou en est, ici le mot premier « secret » peut être conservé), un savoir intangible car « dit sans les mots ».

Dans cette langue où prime le « double sens », permis par l'homophonie (et d'autres mécanismes que nous analyserons plus loin) ; le son, en somme, « résonne » et « raisonne ». L 'analogie avec les oiseaux est avant tout physique : les sons volent a contrario des lettres, qui restent fixes, même les « L ». Le proverbe populaire « Les écrits restent les paroles s'envolent » témoigne également de cette symbolique. La langue des oiseaux nous invite à trouver le sens profond, caché, de la phrase.

Origine de l’expression

L’expression « langue des oiseaux » (on emploie également l’expression synonyme de « langue des anges ») a une origine confuse et plurielle :

  • une première interprétation possible est qu’elle renvoie au fait que les oiseaux sifflent des mélodies, des musiques pour l’oreille humaine, mais dont on ne réalise pas le sens caché. C’est l’idée d’une langue sacrée, cachée, que l’homme n’« entend pas » (dans le sens de comprendre). Grasset d'Orcet reprend ce point de vue (voir ci-après). Cette interprétation renvoie également au mythe grec de Tirésias qui, apercevant un jour deux serpents s'accouplant sur le mont Cithéron (ou sur le mont Cyllène), de peur tua la femelle d'un coup de bâton. Tirésias fut alors transformé en femme. Sept ans plus tard, il revit des serpents accouplés. Il tua alors le mâle pour redevenir un homme. Tirésias fut ensuite confronté aux dieux Zeus et Héra qui se disputaient pour savoir si l'homme éprouve un plus grand plaisir dans l'amour que la femme. Consultant Tirésias en sa qualité d’initié aux deux sexes, ayant connu les deux situations, le jeune homme répondit que selon lui le plaisir des femmes est neuf fois plus intense que celui des hommes. Héra, outragée, le frappa alors de cécité. Zeus compensa ensuite le châtiment infligé en accordant à Tirésias le don de prophéties infaillibles et celui de comprendre le langage des oiseaux.

On peut voir également dans le dieu Hermès, Mercure chez les alchimistes, le créateur de la langue des oiseaux. Ailé, il représente le principe volatil et ésotérique du mystère de la Nature.

Zeuxis peignant les papillons, Hermès à ses côtés, l'inspirant.
  • l’expression pourrait être également une déformation phonétique historique (« synchronique ») du nom d’une confrérie secrète appelée : « langue des oisons » (en référence au petit de l’oie, terme devenu archaïque), nommée ainsi en raison de la patte d’oie que portent sur l’épaule les constructeurs de cathédrales. Ceux-ci utilisaient sur les chantiers un jargon permettant de conserver les techniques ancestrales de la « Fabrique ». Cependant, après la « Grève des Cathédrales » (à la suite de la proclamation des Templiers comme non grata en France le ), la majeure partie des ouvriers initiés fuient l’Inquisition française, pour l’Italie du Nord (où ils prépareront la Renaissance) et le Moyen-Orient. Après le relâchement de l’Inquisition, ces initiés, de retour en France, surnommés « sarrasins », diffusent leurs connaissances au moyen de systèmes de codages secrets assimilés rapidement à des sciences occultes, en premier lieu : le tarot de Marseille, l’« art goth » (art de la lumière, qui deviendra l’art gothique), l’alchimie et la langue des oiseaux.

Dès lors la langue des oisons, réceptacle du savoir traditionnel des constructeurs de cathédrales, se mue en langue des oiseaux, qui de ce fait entre dans la clandestinité et devient langue d’initiés. Elle gagne en complexité afin de ne pas attirer la censure et l’anathème du clergé, recourant même aux langues anciennes comme le grec. Les mots se chargent ainsi de sens doubles au moins, permettant de communiquer des informations tout en n'éveillant pas de soupçons et tout en utilisant les moyens de communication de l’époque (poésie, inscriptions, chants, comptines…).

Le symbole

En jouant sur les lettres, les sons ou les sens, la langue des oiseaux a trait au symbole. Le symbole, du grec « seumbolon » (soulever le couvercle, découvrir), selon la tradition hermétique et gnostique ne peut être saisi que dans une image (analogie, parabole) ou une correspondance (métaphore). En effet, le discours herméneutique détruit la dimension symbolique, expliquant une réalité qui échappe à la raison. En soi, le jeu de mots est la meilleure façon d’approcher la dualité paradoxale du symbole.

La langue des oiseaux est donc intimement liée au « langage des symboles ». La différence des termes exploite en effet toute la nature de l’opération de transformation entre les deux plans : si la langue renvoie à un système codifié (phonétique, linguistique...), le langage lui est une faculté qui ne répond à aucun système.

Néanmoins les analogies, qu’exploite la langue des oiseaux, existent :

  • Comme les mots, les symboles ont un sens, voire plusieurs sens.
  • Comme les mots, les symboles ont un passé. L’étymologie du mot renvoie à sa valeur première ; le symbole également possède une lignée d’images.
  • Comme le mot, dont on connaît le caractère arbitraire depuis Ferdinand de Saussure (il ne représente pas la chose qu’il désigne), le symbole décrit, lui, une réalité émotionnelle avant tout ; de même que le mot, qui a une charge affective.

Finalement, les mots sont des symboles dans la langue des oiseaux, qui mènent vers des enseignements occultes. L’alchimie, qui est une mise en images et en textes du Grand Œuvre, utilise ainsi le symbolisme des mots pour tisser des correspondances entre les concepts. Tout comme le symbole (qui est un raccourci par l’image), ce langage des mots fait prendre des raccourcis de pensée. La langue des oiseaux fonctionne de la même manière que les signes en mathématiques ou en physique. Ce codage assure la pérennité des concepts et images, car seule l’initiation peut fournir la clé des rapports entre les mots. La formule E = mc2 est très significative : si tout le monde en voit la portée (la relativité générale), seuls les « initiés » (les physiciens) peuvent l’interpréter et, davantage même, la manipuler.

Fondements historiques

La divination et les auspices

La divination au moyen des oiseaux.
La divination au moyen des oiseaux.

Dans l'Antiquité latine, les oiseaux passaient pour messagers des dieux. L'auspicie, divination par le vol des oiseaux dans un carré magique projeté sur le sol (ou « templum ») permettait de comprendre les intentions divines. Les « auspices » (de aves spicere : « observer les oiseaux ») étaient une méthode avant tout visuelle qui prenait en compte également le cri des oiseaux observés. Depuis les temps immémoriaux, les cris des oiseaux sont une métaphore adéquate pour l'esprit humain, dans sa tentative de cerner les messages codés de la Nature. Sous l'influence chrétienne, la langue des oiseaux deviendra « langue des anges », gardant ainsi toute la dimension de communication entre le monde visible et invisible qu'elle avait à l'origine.

Dès lors, certains auteurs attestent, dès l'Antiquité, de l'existence d'une langue secrète réservée aux « divium » (« devins »), initiés au messages divins. Diodore de Sicile, dans sa Bibliothèque historique, (Livre V, 31) explique qu'il existe un langage des dieux :

« Ils disent, en effet, que … ces hommes [les druides] qui connaissent la nature divine et parlent, pour ainsi dire, la même langue que les dieux … »

Virgile dans l'Énéide (livre III, 360) nous apprend que le « langage des oiseaux » est une des compétences du devin :

« Fils de Troie, interprète des dieux, toi qui entends les volontés de Phébus, les trépieds, les lauriers de Claros, toi qui comprends les astres et le langage des oiseaux et les présages qu'annonce leur vol rapide, allons, parle »

Très tôt cette langue est attestée, comme à part des langues humaines :

« Ceux qui affirment que la philosophie a commencé chez les Barbares expliquent que celle-ci a pris chez chacun une forme particulière. Ainsi ils disent que les gymnosophistes et les druides philosophaient en énonçant des sentences énigmatiques (Diogène Laërce, Vies et doctrine des philosophes célèbres, Livre I, prologue, 6). »

Néanmoins, cette langue peut avoir une origine linguistique réelle. Iambule, écrivain grec (Ier siècle av. J.-C.) dans un ouvrage fantastique disparu, écrit que les habitants d'une île de l'Océan Indien ont une langue bifide (coupée en deux) permettant de tenir en même temps deux conversations, chaque lettre renvoie a un son (28 sons/lettres) de 7 caractères qui peut être formé de manières différentes. Diodore de Sicile, dans le livre II de sa Bibliotheca[3], résume ses propos :

« Leur langue a aussi quelque chose de particulier qui leur vient en partie de la nature et en partie d'une opération qu'ils y font. Elle est fendue dans sa longueur et paraît double jusqu'à la racine. Cela leur donne la faculté, non seulement de prononcer et d'articuler tous les mots et toutes les syllabes qui peuvent être en usage dans toutes les langues du monde mais encore d'imiter le chant ou le cri de tous les oiseaux et de tous les animaux, en un mot tous les sons imaginables. Ce qu'il y a de plus merveilleux est que le même homme entretient deux personnes à la fois par le moyen de ses deux langues et leur répond en même temps sur des matières très différentes sans se confondre. »

Enfin, Platon dans le Cratyle évoque une langue du double sens et pense que le mot reflète la chose qu'il représente. Il explique alors qu'entre les mots et les choses existe une relation d’immédiateté.

Les troubadours et la poésie médiévale

Néanmoins, hormis l'existence des auspices, aucun texte antique n'établit un parallèle entre langue des dieux et langue des oiseaux ; ce n'est qu'au Moyen Âge qu'apparaît le premier jeu de mots :

Bas-relief représentant un chevalier tuant le dragon, ou un cabalier à la recherche du secret de la Pierre philosophale.

Fulcanelli, dans son ouvrage majeur Les Demeures Philosophales[4] note : « Employée au Moyen Âge par les philosophes, les savants, les littérateurs, les diplomates. Chevaliers d’ordre et chevaliers errants, troubadours, trouvères et ménestrels […] discutaient entre eux dans la langue des dieux, dite encore gaye-science ou gay-scavoir, notre cabale hermétique. Elle porte, d’ailleurs, le nom et l’esprit de la Chevalerie, dont les ouvrages mystiques de Dante nous ont révélé le véritable caractère. […] C’était la langue secrète des cabaliers, cavaliers ou chevaliers. Initiés et intellectuels de l’Antiquité en avaient tous la connaissance. ».

Fulcanelli pense que la langue des oiseaux doit son origine à une certaine confrérie chevaleresque passionnée d'occultisme, d'où leur nom de « cabaliers », paronyme du mot « cavalier » et homophone imparfait du mot « chevalier ». Néanmoins rien n'est dit sur sa nature, sinon cette correspondance phonétique entre « cabalier » et « chevalier ».

La langue des oiseaux apparaît surtout à travers le système médiéval de codage inventé par les trouvères et troubadours afin de faire passer des messages qui déjouaient la censure des autorités, notamment ecclésiastiques. De nos jours encore, les jeux de mots et surtout les calembours sont des résidus populaires de cette langue poétique. Par exemple le mot « maladie » pouvait contenir un sens codé : c’est le « Mal qui dit » et cela pouvait renvoyer à une institution ou une pratique visée. À l’inverse, la « Bénédiction », c’est « la Bonne Diction » qui renvoyait peut-être à l’art poétique. Autre exemple : les expressions de « Bonne Heure » (= Bonheur) et de « Mauvaise Heure » (= Malheur).

Le soufisme et la langue siryanîte

La poésie mystique des soufis emploie également souvent la langue des oiseaux, de la même manière qu’en Occident. Le poète soufi Farîd al-Dîn Attâr - persan (aujourd'hui l'Iran) a vécu de 1119 à 1190 ; il appartient à la tradition spirituelle Soufi de l’École d’al-Hallâd. Dans son ouvrage La Conférence des oiseaux, il raconte une épopée mystique ou 30 000 oiseaux sont à la recherche de leur Roi. Le récit commence par un discours de bienvenue qui constitue une fonction rituelle et magique de la « Huppe », un oiseau assimilé à la fonction initiatique. Ces oiseaux représentent l’humanité des fidèles cherchant un sens au monde. La huppe, figure du maître soufi, appelle les oiseaux à partir pour un voyage difficile qui les conduira à la cour de leur Roi où ils rencontreront un oiseau fabuleux, le Simurgh. Certains suivent la huppe, d’autres refusent, se contentant de leurs sorts terrestres. Attâr fait ici une parabole de la quête initiatique soufie où certains sont initiés car ils accèdent au sens profond des mots, d’autres s’y refusent et restent dans un langage commun.

La thèse d'Attâr est que les hommes comme les oiseaux ont des langues différentes : aucun oiseau n’a le même chant que l’autre. Or, les initiés partagent le même langage : le langage du bons sens et de la mystique.

Pages du Coran.

Ahmed Moubarek, dit 'Abd al-'Aziz al-Dabbagh, grand soufi illettré qui vécut à Fès à la fin du XVIe et au début du XVIIe, dans le Kitab-Al-Ibriz (traduction : le livre d'or pur), qui contient l’enseignement de son maître cheikh Dabbagh, évoque l'existence d'une langue originelle, employée par les anges et nommée langue siryanîte. Selon le poète soufi marocain, elle existe dans chaque langue et consiste en un autre sens que celui communiqué, le sens réel étant donné dans sa prononciation et non dans son écriture. C’est également la langue des grands saints. D'après une légende islamique, il y a des inscriptions en siryanî sur le tronc du ‘Arsh et sur la porte du Paradis, qui ont également le pouvoir de parler aux défunts dans la langue divine. Pour Ahmed Moubarek, le siryanî se trouve également dans les « lettres isolées » qui ouvrent les sourates du Coran et dont aucun théologien musulman n'a donné d'explication à ce jour, par exemple « Alif - Lâm - Mîm » qui ouvrent la sourate 2 « la Vache » (Al Baquara).

Les exégèses ont été nombreuses ; pour Ar-Rabî‘ ibn Anas : « Ces lettres proviennent des 29 lettres autour desquelles tournent toutes les langues », et à chacune il y a une vocalisation. Pour Abdel ‘Azîz ad-Dabbâgh par ailleurs : « À chaque lettre des lettres siryânites, il y a un secret, et chaque secret se divise en sept autres secrets. Ils naissent des significations divines des mots, qui est l’origine du premier secret. À chaque lettre il y a sept autres secrets qui se rapportent à la parole arabe. En ce qui concerne les langues non-arabes, d'autres secrets s'y rapportent. ». La calligraphie arabe se veut en effet une mise en symbole de la Création divine[5]. Enfin, à la fin du XIVe, en Iran, Fazlullâh (fondateur de la religion des Hurufiyya (de « huruf »=lettres), après un rêve prophétique, entend et comprend le chant des oiseaux.

L'alchimie

L'alchimie a donné à la langue des oiseaux ses lettres de noblesse. L'existence d'une langue secrète, dite « langue alchimique », est notamment attestée par :

Allégorie de l'alchimie.

« Ne sait-on pas que notre art est un art cabalistique ? Je veux dire, qui ne se révèle que de bouche, et qui est rempli de mystères ; Et toi, pauvre sot que tu es, serais-tu assez simple pour croire que nous enseignons ouvertement et clairement le plus grand et le plus important de tous les secrets, et pour prendre nos paroles à la lettre ? »

  • Synésios (au IVe siècle) complète la révélation d'Artéphius en évoquant un code méthodique :

« Ils [les alchimistes] s'expriment seulement par symboles, métaphores et images, afin de n'être compris que par des saints, des sages, et des âmes douées d'intelligence. Ils ont, pour cette raison, observé dans leurs œuvres une certaine méthode et une certaine règle, de sorte que l'homme sensé pût comprendre et, peut-être après quelques tâtonnements, parvenir à tout ce qui est secrètement décrit. »

  • Nicolas Flamel, célèbre alchimiste, évoque un type de traités curieux dans son Livre des figures hiéroglyphiques en 1612 :

« Il n'était point de papier ou de parchemin, comme sont les autres, mais il était fait de déliées écorces de tendres Arbrisseaux. Sa couverture était de cuivre bien délié, toute gravée de lettres ou figures étranges ; et quant à moi je crois qu'elles pouvoient bien être des caractères Grecs ou d'autre semblable Langue ancienne. Tant y a que je ne les sçavois pas lire, et que je sçai bien qu'elles n'étaient point notes ni lettres latines ou gauloises ; car j'y entends un peu »

Cette langue secrète -synonyme de « cabale » (avec un c pour la différencier de la Kabbale judaïque) consiste le plus souvent dans l’utilisation de rébus ou de jeux de mots, dans l’objectif de coder des œuvres interdites, via un code cryptographique fondé sur les sons, afin d’en faire passer le contenu, soit comme incompréhensible, soit comme d’un tout autre contenu. L’œuvre codée apparaît soit absurde, soit hors sujet.

Ainsi on a pu voir dans la phrase de Synésios une phrase parallèle recelant quelques clés de cette langue : le passage « n'être compris que par des saints » peut s'entendre : « n'être compris que par dessins ou par desseins » par homonymie du mot « saint » ; de même le passage : « secrètement décrit » comme « secret te ment d'écrit », allusion au mensonge de la phrase prise au pied de la lettre. L’expression apparaît comme une métaphore d’une certaine manière de porter son regard sur les choses et événements qui appelle à faire fi de la logique de raisonnement dans le sens des phrases.certains auteurs occultes du Grand Œuvre parlent également de la « cabale phonétique », méthode identique jouant sur les correspondances phonétiques et sémantiques.

Les sons en effet jouent un rôle prépondérant en alchimie. D’une part cette science, à ses débuts, se faisait appeler « art de musique ». Michel Maïer, auteur de Atalante Fugens, traité alchimique de première ampleur, joint à ses textes des fugues accompagnant les métamorphoses de l’Œuvre.

Cette analogie est à mettre en parallèle avec la parole de Saint Paul dans le chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens : « Quand je parlerai les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas l'amour, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit. ». Il y a donc une constante analogie, dans chaque allusion à la langue secrète, à la musique.

La « langue de l'extase », souvent employée de manière synonyme à celle de langue des oiseaux est prétendue se manifester pendant la sortie de l'âme, lors d'un contact temporaire avec le divin. Thomas de Celano pense que le saint, pendant l'extase, croit entendre une musique très douce, d'une sonorité semblable au français.

L'iconographie alchimique, quand elle représente le laboratoire de l'alchimiste, montre souvent des instruments de musique exprimant l'harmonie et la musique céleste (venant de Platon : la « musique des sphères ») accompagnant l'aboutissement du Grand Œuvre.

XIXe et XXe siècle

Grasset d'Orcet

Grasset d'Orcet (1828-1900) étudie les traces des systèmes cryptographiques de la Grèce archaïque. Fort de cette expérience il publie des articles sur la Langue des Oiseaux parus dans la Revue Britannique. Ami de Fulcanelli, ayant eu une puissante influence sur l'abbé Henri Boudet (voir ci-après), Grasset d'Orcet va se consacrer à l’étude des « Matériaux Cryptographiques » c’est-à-dire aux règles de décodage des textes en langue des oiseaux. Il se focalise surtout sur l’héraldique, autre science aux origines occultes usant du double langage. Les devises hiéroglyphiques du blason obéissent en effet à des règles permettant leur « lecture » (autre qu’iconique) :

  • 1) la devise se compose de vers de six à huit syllabes, terminées par une syllabe où entre la lettre L,
  • 2) Tout dessin blasonné doit se déchiffrer en commençant par les pieds (de bas en haut).

Fulcanelli

Fulcanelli, dont la véritable identité demeure inconnue[6], dans Les Demeures Philosophales, ouvrage d’alchimie moderne où il montre que les maîtres spagyriques ont fixé dans la pierre des cathédrales leur savoir ancestral, fut l'un des premiers à révéler clairement le sens de la langue des oiseaux :

« Les vieux maîtres, dans la rédaction de leurs traités, utilisèrent surtout la cabale hermétique, qu’ils appelaient encore langue des oiseaux, des dieux, gaye science ou gay savoir. De cette manière, ils purent dérober au vulgaire les principes de leur science, en les enveloppant d’une couverture cabalistique. […] Mais ce qui est généralement ignoré, c’est que l’idiome auquel les auteurs empruntèrent leurs termes est le grec archaïque, langue mère d’après la pluralité des disciples d’Hermès. La raison pour laquelle on ne s’aperçoit pas de l’intervention cabalistique tient précisément dans ce fait que le français provient directement du grec[7]. »

La dimension cryptographique de cette langue est donc avérée selon lui ; néanmoins, elle reposerait sur le grec ancien. Puis Fulcanelli va définir la méthode fondant la langue des oiseaux comme étant phonétique :

« La langue des oiseaux est un idiome phonétique basé uniquement sur l’assonance. On n’y tient donc aucun compte de l’orthographe, dont la rigueur même sert de frein aux esprits curieux […][8]. »

Il continue, insistant sur le double sens de cette langue :

« les anciens écrivains l’appelaient langua general (« langue universelle »), et lengua cortesana (« langue de cour »), c’est-à-dire langue diplomatique, parce qu’elle recèle une double signification correspondant à une double science, l’une apparente, l’autre profonde[9]. »

Puis il en fait la langue originelle de l’humanité, celle d’avant Babel (voir chapitre « origine ») :

« Les rares auteurs qui ont parlé de la langue des oiseaux lui attribuent la première place à l’origine des langues. Son antiquité remonterait à Adam, qui l’aurait utilisée pour imposer, selon l’ordre de Dieu, les noms convenables, propres à définir les caractéristiques des êtres et des choses créées. »

Les symboles des cathédrales, témoignages de l’iconographie alchimique et occultiste, sont souvent compréhensibles par le recours au rébus ou par la lecture à haute voix. L’exemple que prend Fulcanelli à propos du cheval ornant le mur sud de l’église de Saint-Grégoire-du-Vièvre, « et dont le message se lit d’abord en rébus ou langue des chevaliers pour se terminer en symboles, beaucoup moins évidents à comprendre[10]. »

Le code secret des Templiers.

Pour Fulcanelli, chaque nom alchimique contient, dans la langue des oiseaux, une correspondance symbolique que la phonétique exprime : l’antimoine par exemple fait référence à l’âne initiatique.

« Sachez donc, frères, afin de ne plus errer, que notre terme d'antimoine... désigne, par un jeu de mots familier aux philosophes, l'âne-timon, le guide qui conduit[11]... » Dans Le Mystère des cathédrales, l’art gothique est un langage lui-même interprétable par la langue des oiseaux. Cette hypothèse, propre à Fulcanelli, jamais évoquée au Moyen Âge nous permet d’étudier le fonctionnement symbolique à l’œuvre dans la langue des oiseaux. Tout d’abord, phonétiquement l’expression « art gothique », par raccourci : « art goth » (prononcez [go]) est proche de celle d’ « argotique » ; il y a homophonie parfaite :

« Pour nous, art gothique n’est qu’une déformation orthographique du mot argotique, dont l’homophonie parfaite, conformément à la loi phonétique qui régit, dans toutes les langues et sans tenir aucun compte de l’orthographe, la cabale traditionnelle. La cathédrale est une œuvre d’art goth ou d’argot. Or, les dictionnaires définissent l’argot comme étant un « langage particulier à tous les individus qui ont intérêt à communiquer leurs pensées sans être compris de ceux qui les entourent ». C’est donc bien une cabale parlée[12]. »

L’art gothique renvoie à un langage codé donc. L’amplification symbolique peut ensuite être proposée au moyen d’une seconde mise en correspondance phonétique : « Les argotiers, ceux qui utilisent ce langage, sont descendants hermétiques des argo-nautes, lesquels montaient le navire Argo [...] pour conquérir la fameuse Toison d’Or. [...] Tous les Initiés s’exprimaient en argot, aussi bien les truands de la Cour des Miracles, - le poète Villon à leur tête,- que les Frimasons, ou francs-maçons du Moyen Âge, « logeurs du bon Dieu », qui édifièrent les chefs-d'œuvre argotiques que nous admirons aujourd’hui. »

Il existerait donc une correspondance entre l’art gothique, le langage codé dit argotique et le mythe des Argonautes, largement évoqué par les auteurs alchimistes. Cette relation pourrait être synthétisée en une phrase reprenant tous les termes : l’art gothique est un langage codé utilisé par un groupe d’initiés à cette langue et recherchant la Toison d'or (sous-entendu, par métaphore : la pierre philosophale). La destination spirituelle de cet art est renforcée par la racine grecque de l’adjectif « gothique » :

« L’art gothique est, en effet, l’art got ou cot (Co en grec), l’art de la Lumière ou de l’Esprit[13]. »

Le père Boudet

Le père Boudet, curé de Rennes-les-Bains, écrit en 1886 La Vraie Langue celtique, ouvrage fondé sur les jeux de mots anglais (« pun » en anglais) ; il y tente de dévoiler la dimension internationale et sociale de la langue des oiseaux. Il s’intéresse surtout aux langues puniques (africaines), demeurées les plus primitives pour lui. Il en fait ainsi remonter l’usage d’avant Babel (comme Fulcanelli dont il est influencé)[14]

« Les exemples cités sont assez nombreux pour montrer dans la langue punique une dérivation parfaite du langage qui a précédé Babel. »

[15]

Boudet rapproche (toujours dans une démarche d’amplification phonético-symbolique) le nom Babel de l’anglais « Babble » qui signifie « babiller » (parler comme un enfant) ; par extension, il envisage que cette proximité signifie que la langue des oiseaux est à l’image du babillage : un langage paradoxal que l’on entend mais ne comprend pas, sauf les initiés.

Par ailleurs, le mot, pour Boudet, recèle tout le savoir ancestral d’un phénomène, comme une condensation d’expériences :

« les mots nouveaux n’ont plus la même simplicité ; ils expriment par l’association des termes primitifs, des propositions tantôt figurées, tantôt relatant un fait historique et réel[16]. »

La langue kabyle, parmi celles puniques, est celle la plus révélatrice de la coexistence actuelle de la langue des oiseaux ; par ailleurs, la dénomination de « punique » elle-même identifie la nature de ces langues qui détiennent encore le code symbolique :

« En examinant de près le langage actuel des Kabyles, on s’assurera qu’il est fait de jeux de mots et par conséquent le seul punique – to pun (peun) faire des jeux de mots[17]. »

Il existe en effet dans cette langue, gardée intacte, une architecture de renvois et de correspondances : « Ces combinaisons nouvelles sont aussi faciles à observer dans la langue Kabyle [...], celle-ci les reproduit dans une plus grande pureté et permet de saisir, pour ainsi dire au passage, des pensées de grande pureté, des pensées philosophiques surprenantes, des peintures de mœurs qui ne laissent rien à désirer[16]. »

Boudet aime même à croire que le rapprochement phonétique Kabyle / Cabale (autre nom de l'art des alchimistes, à distinguer de l’homonyme Kabbale, qui est l’exégèse judaïque) est significatif. Rappelons que l’on nomme également la langue des oiseaux : « Cabale des philosophes » (des alchimistes, synonyme de philosophe au Moyen Âge)

René Guénon

Métaphysicien majeur de la première moitié du XXe siècle René Guénon, dans Symboles de la Science sacrée pense que la langue des oiseaux regroupe les formules et incantations ésotériques fondamentales. Il considère qu’elle est la métaphore de la communication de l’humain avec les « êtres supérieurs » que sont les anges : « les oiseaux sont pris fréquemment comme symbole des anges, c’est-à-dire précisément des états supérieurs ». Il montre que c’est dans la tradition islamique qu’apparaît la langue des oiseaux, avec la figure de Salomon :

« Et Salomon fut l’héritier de David ; et il dit : O hommes ! nous avons été instruits du langage des oiseaux [‘ullimna mantiqat-tayri] et comblés de toutes choses.[18] »

Les anges sont souvent représentés comme des oiseaux.

Le terme aç-çāffāt est considéré comme désignant littéralement les oiseaux, mais comme s’appliquant symboliquement aux anges (al-malā’ikah) par proximité phonétique. La langue des oiseaux serait donc une expression pour désigner la langue des anges. (Guénon cite notamment l’étude sur le symbolisme de l’« oiseau de paradis » de M. L. Charbonneau-Lassay fondée sur une sculpture où cet oiseau est figuré avec seulement une tête et des ailes, forme sous laquelle sont souvent représentés les anges).

Pour Guénon, cette langue est avant tout fondée sur le rythme universel, sur le vers et la poésie. La tradition islamique considère d’ailleurs qu’« Adam, dans le Paradis terrestre, parlait en vers, c’est-à-dire en langage rythmé ; il s’agit ici de cette langue syriaque. »

La poésie, même moderne aurait ainsi gardé cette part mystique, primordiale, ce qui explique que tous les textes sacrés soient écrits en vers.

Un système de codage occulte

Depuis le et l’arrestation des templiers sur ordre du roi de France Philippe le Bel, la langue des constructeurs de cathédrales devient interdite car suspecte et entre donc dans la clandestinité. Elle devient un système de cryptage plus ou moins intuitif car basé sur la phonétique et la proximité de sens des mots ; à l’inverse des autres systèmes, davantage mathématiques, mettant en œuvre des clés et des tables de correspondances, comme le célèbre code Enigma de la Seconde Guerre mondiale par exemple. La langue des oiseaux demeure un système de codage dans lequel ne préexiste pas, à proprement parler de méthode écrite, de clé de décryptage en somme.

Il faut ici la distinguer des autres langues secrètes, tribales et ethniques notamment (du domaine de l'ethnologie, comme la langue des Dogons, étudiée par Michel Leiris ou comme le « machaj juyai » qui est encore parlé par quelques familles de médecins herboristes traditionnels, les Kallawaya, qui vivent dans les Andes boliviennes) et des jargons et argots régionaux ou sectoriels (de métiers) comme l'Argot des nomades en Basse-Bretagne (la langue secrète des couvreurs, chiffonniers et mendiants) ou des langages créés ad hoc, comme le Polari, langue des homosexuels.

La langue des oiseaux demeure un système de codage dans lequel ne préexiste pas, à proprement parler de méthode écrite, de clé de décryptage en somme.

Ce système se forme en définitive sur quelques principes simples, qui peuvent constituer les clés, même si elles ne sont jamais fixées par écrit, ce qui en fait une cryptographie :

  • les mots et les phrases homonymes. Quand on utilise la langue des oiseaux, on peut découvrir dans certaines expressions anciennes d'autres expressions tout à fait différentes, aux sens différents :

Par exemple les mots : « silence » (= « si lance »), « larme » (= « l'arme »), « mots » (= « maux »), « François » (= « franc avec soi »), « mer » (= « mère »), « métamorphose » (= « mets ta mort et ose »), etc.

Il s’agit là d’un système assez rudimentaire pour faire passer des informations via des textes : poèmes, traités alchimiques etc., de la même façon que, pendant la Résistance française, les hommes « de l’armée des ombres » ont communiqué les plans de sabotage de l’armée allemande via des poèmes de la littérature française, poèmes codés.

  • Les images et analogies : certains sens codés ne sont compréhensibles qu'en usant de métaphores et analogies, sans quoi le terme figuré ne peut permettre d'interpréter le message.
  • La langue des oiseaux fonctionne sur le registre de la spontanéité et de la compréhension.

La cryptographie, ou « écriture chiffrée », est de trois types (d'après l'entrée « cryptographie » du Dictionnaire des langues imaginaires) : 1) substitution de chaque lettre, syllabe mot ou phrase par des lettres, chiffres ou mots différents selon un code 2) transposition : les lettres du texte, en clair, sont déplacées selon une clé 3) mixte. Des auteurs ont su employer des codes cryptographiques tels Goethe, Pouchkine, John Wallis, Francis Bacon.

Pour certains auteurs, la langue des oiseaux tiendrait davantage à la glossolalie ou langue des prophètes : Carl Gustav Jung pense qu'« il est possible que l'étrangeté et l'extériorité des contenus inconscients qui n'ont pas encore été intégrés dans la conscience exigent un langage qui soit, lui aussi étranger ». Néanmoins cet état de fait n'enlève rien à l'originalité de la langue des oiseaux, qui, bien qu'inconscient dans son aspect glossolalique, n'en demeure pas moins « motivée ». L'entrée langue glossolalique du Dictionnaire des langues imaginaires pose que la glossolalie emploie trois mécanismes linguistiques qui en font un langage sensé : la répétition, la réduplication et le balbutiement.

Le tarot de Marseille et la langue des oiseaux

Lame du Pendu, tarot de Marseille.

Le tarot de Marseille, méthode de divination médiévale obéissant à la transmission orale (on ne l’apprend que par initiation), semble fonctionner sur les possibilités de la langue des oiseaux, que ce soit par les anagrammes, les rébus ou l’homonymie. Les initiés du tarot ont l’habitude de résumer son but par l’expression : « le tarot contient de 22 lames ses leçons ». Si on y applique le principe de la langue des oiseaux, on peut entendre (et non plus lire) : « le tarot qu'on tient, devin de l'âme, c'est le son », sorte de maxime élucidant la méthode à l’œuvre dans cette méthode de divination.

Néanmoins, ce sont les images qui sont surtout à décrypter dans le tarot de Marseille[2].

Ces Arcanes semblent tous contenir, par l’image ou le texte, un sens double, caché. La « lame » intitulée Tempérance renvoie en effet à l’expression développée : « Temps errance », qui correspond dans l’astrologie aux sources du tarot à l’ère du Verseau, figure qui apparaît sur la même Arcane.

Par ailleurs, les oiseaux ne sont pas absents des dessins du tarot. En effet, quatre « lames » mettent en scène les volatiles. Ces apparitions sont pour certains un code en soi permettant l’utilisation de la langue des oiseaux, nécessaire à la pleine compréhension des arcanes.

La lame dite de la Papesse (2e arcane), paraphrasée en « lame air du Tarot » semble contenir l’idée même de la langue des oiseaux comme seule clé de compréhension du tarot ; on peut en effet la faire correspondre à l’expression homophonique : « la mère du tarot ». Le symbole de l’air (domaine des oiseaux) comme source d'inspiration serait un signe conseillant de lire le tarot de Marseille avec le son. Cette correspondance fait écho à la symbolique alchimique de l’air comme univers du « volatile » (par opposition au « fixe »), du secret dissimulé qu’il faut rendre visible (terrestre) par l’Œuvre.

On peut également voir dans le nom de « tarot » une correspondance avec la forme phonétique « taraud » renvoyant au verbe « tarauder », qui signifie creuser, percer une matière dure, et qui s’emploie aussi dans une acception figurée (cette question me taraude par exemple). Le tarot serait en somme un art du « creusement du sens ». De même, chaque arcane peut également correspondre phonétiquement à un autre sens que son nom inscrit sur la carte, désignant finalement des étapes dans l’initiation : « le Bas te leurre » (Bateleur), « l'air mythe » (Ermite), « Temps errance » (Tempérance), « L'âme est son Dieu » (La Maison-Dieu). Néanmoins, les significations appartenant à ceux ayant créé ce code, la langue des oiseaux nous permet de dresser des correspondances de sons, mais elle ne nous permet pas d’accéder au sens premier, sinon par analogie.

À noter que beaucoup de séminaires et de « coaching » interviennent sur le tarot et ses correspondances en langue des oiseaux[19].

Langue des oiseaux et psychologie

Les jeux de mots : fenêtre sur l’inconscient

Pour la psychanalyse, l’inconscient utilise un langage codé permettant d’exprimer un sens dit « latent ». Jacques Lacan[20], notamment, a démontré que sous les jeux de mots s'exprime l'inconscient qui choisit de passer des messages, suivant son expression selon laquelle « l’inconscient est structuré comme un langage ». Néanmoins, le complexe psychique va faire correspondre des états, symbolisés par des mots, agglomérés par leur proximité phonétique.

L’analyse doit pour Lacan se fonder sur la détermination de ces correspondances phonétiques et symboliques afin de « dénouer effectivement ce en quoi le symptôme consiste, à savoir un nœud de signifiants ».

Sigmund Freud déjà affirmait que « c’est par la langue que l’essentiel se révèle » (il emploie le mot allemand de « zurückführen », littéralement « conduire en arrière », soit ramener la langue vers son fondement). Dans La Science des rêves, Freud parle du rêve comme d'un rébus qui s'entend au pied de la lettre ; un rébus formé des lettres comme signifiant graphiques et des sons comme signifiants phoniques ajoute Lacan.

Pour Lacan, en effet, le signifiant prime sur le signifié, via un jeu constant entre ces deux réalités, au moyen des « lois du langage de l'inconscient » : la métonymie et la métaphore. La première « rend compte du déplacement dans l’inconscient » alors que la seconde « rend compte de la condensation dans l’inconscient ».

Néanmoins, Jacques Lacan, s'il pose l'hypothèse de l'inconscient comme un langage, ne repère pas la dimension phonique de celui-ci. Expliquant que « l’inconscient ne connaît que les éléments du signifiant (...) [étant] une chaîne de signifiants qui se répète et insiste », il précise qu'il opère cependant « sans tenir compte du signifié ou des limites acoustiques des syllabes ».

Finalement, Lacan a su montrer que psychiquement « Le mot n’est pas signe mais nœud de signification », que l'analyse doit dénouer. Il refuse par ailleurs qu'il puisse exister dans l'inconscient, dans le domaine du prélangage, une signification de la lettre en elle-même, ce qui forme le fondement de la langue des oiseaux : « Si toute séquence signifiante est une séquence de lettres, en revanche, toute séquence de lettres n'est pas une séquence signifiante ». Avec Lacan, la psychanalyse se refuse à explorer les jeux de mots et les phénomènes des champs sémantiques et phonétiques.

Le rêve « parle » la langue des oiseaux

Le sens des mots dans les rêves est exploré la première fois par le psychiatre Carl Gustav Jung qui, en fondant la mythanalyse, pose que « Si abstrait qu’il soit, un système philosophique ne représente donc, dans ses moyens et ses fins, qu’une combinaison ingénieuse de sons primitifs ». Le mot, en plus d'avoir un sens abstrait est chargé émotionnellement.

Le rêve selon Goya.

Étienne Perrot, continuateur de Jung, fait de la langue des oiseaux et des jeux de sonorités une capacité du rêve d'exprimer de manière parallèle une réalité psychique[21] :

« Cette synchronicité, ces écoutes extérieures et intérieures, ces doubles lectures, nous les apprenons donc d'abord dans les rêves. Les rêves nous apprennent à décrypter la réalité. Les rêves, c'est bien connu, prennent très souvent des matériaux de la vie diurne, mais c'est pour nous apprendre à les lire autrement_ Cette lecture renferme un élément très important, qui est le décryptage des mots suivant des lois qui ne sont pas des lois causales, mais des lois phonétiques, suivant le mode de formation des calembours. C'est ce qu'on appelle « la langue des oiseaux », et c'est cela, d'une façon précise, ce que les alchimistes appelaient « la gaie science »[22]. »

Il justifie le double sens phonétique des textes alchimiques par cette citation de l'auteur ésotérique Michel Maïer qui explique :

« À propos de tout ce que tu entends, raisonne pour savoir s'il peut en être ainsi ou non. Nul en effet n'est incité à croire ou à accomplir des choses impossibles, car les mots (des livres hermétiques) existent à cause des choses et non les choses à cause des mots[23]. »

Perrot reconnaît au rêve une certaine motivation, indépendante de la conscience, un certain humour qui transparaît par la langue des oiseaux. En déstructurant le mot, par les sonorités qu'il contient, le rêve (l'inconscient en somme) donne à entendre un autre sens. Perrot voit dans le mot onirique une capacité à se « dilater » par une mise en correspondance de symboles. Il y voit également une correspondance constante avec la musique de l'alchimie dans laquelle « toute cuisson s'accompagne d'une musique : un four gronde, un feu crépite, l'eau sur le feu chante et, si l'on y plonge un métal porté au rouge, il siffle[24]. »

Cette capacité du rêve à générer des sens à plusieurs niveaux correspond à la règle d'interprétation alchimique obscurum per obscurius qui prône l'explication, paradoxale, de ce qui est obscur par ce qui est plus obscur encore. Il s'agit bien du contenu latent du rêve, qui tend à se symboliser par la condensation, proche des koans et des haï kaï zens.

Par exemple, un rêve évoquant un « parchemin », contre toute logique, pourrait s'interpréter par l'expression « par le chemin » suivant la langue des oiseaux, expression qui renvoie aux symboles de liberté, d'ouverture d'esprit, de développement personnel. En latin, un romain rêvant d'un livre (« liber ») aboutirait à la même conclusion : « liber » renvoie également à liberté ; et cette racine a été conservée en français.

Des personnages, par leurs patronymes, peuvent ainsi correspondre à des symboles. Le nom de Pierre par exemple, dans un rêve, renvoie non à une personne réelle ou historique (l'apôtre) mais à la pierre au sens d'autel ou de pierre philosophale. Pour Jung, l'existence de ce double langage prouve la continuité des symboles alchimiques dans le psychisme contemporain. Rêver d'un « sceau » au sens de clé renverrait ainsi au « scel », mot d'ancien français désignant le « sel », composé alchimique, et fonction psychique régulatrice.

Par ailleurs, l'étymologie demeure dans le rêve, en dépit de la culture du rêveur. Elle semble encore signifiante, comme si elle stratifiait dans l'inconscient tous les sens d'un mot, et toute son évolution linguistique. Le mot « laboratoire » par exemple, en rêve, continue à contenir les deux sens de « laborare » (travailler) lui-même provenant du verbe latin « orare » (oraison, prier). En somme, le rêveur pourrait être appelé à « travailler sur sa conscience spirituelle » en voyant lors d'un songe un laboratoire. Pour Perrot et les psychologues analytiques, en effet, l'inconscient « connaît » l'étymologie et joue avec. Par exemple, rêver de « graisse » renvoie à sa racine latine : adeps qui évoque le substantif « adepte », celui entré en possession de la pierre philosophale. De même, « Luxembourg » renvoie à la « ville de lumière » (lux en latin), la forteresse du Soi.

Les jeux de mots sont également à la source d'interprétation des rêves, et en premier lieu les anagrammes et calembours, combinés au savoir inconscient de l'étymologie. Rêver d'un « gnome » par exemple pointerait vers la racine grecque « gnomon » qui désigne l'être surnaturel synonyme de nain et qui est l'anagramme de « mon gon ». L'expression de « mon gond » (rendue intelligible, décodée, en graphie conventionnelle) pourrait alors mettre en lumière le côté fermé, clos, du rêveur face à un problème, et la nécessité pour lui de s'ouvrir au monde. Les phases de la transformation spirituelle intérieure sont en effet, dans toutes les cultures, symbolisées par des seuils de porte ou des dispositifs d'ouverture (les rêves de maisons sont significatifs : de là, rêver de « restaurant » peut inclure le sens de « restauration » psychique, de reconstruction personnelle). Les jeux de mots sonores sont souvent très évidents : rêver de « corbeau » peut évoquer le « corps beau », c'est-à-dire le corps qu'une personne complexée doit apprendre à respecter notamment.

Symbolique de la lettre M.

Assez proche de la numérologie, l'interprétation de lettres entendues ou vues dans un rêve peut recevoir un éclairage particulier grâce à la langue des oiseaux. Rêver de la lettre « M » pourrait signifier phonétiquement « aime » alors que, inversement rêver de la lettre « N » correspondrait au concept de « haine ». Plus symboliquement, les noms pourraient renfermer dans leur structure l'essence des choses qu'ils désignent. Perrot donne l'exemple du « merle » alchimique qui peut s'expliquer ainsi :

« le vase hermétique (athanor) est la mère de la Pierre. « Merle » est formé de « mère » où est venu se ficher en quelque sorte le l, verticale symbolisant la foudre divine, le feu du sacrifice qui pénètre la substance terrestre et la consacre à la divinité. Le merle est donc l'athanor allumé et sanctifié par le feu du ciel[25]. »

Étienne Perrot considère également que le double sens est appréhendable également par le recours à la kabbale qui utilise la permutation des lettres. Par exemple, la lettre aleph est l'Esprit.

Enfin, le double sens peut être levé facilement, par une lecture au premier degré : rêver de l'expression d' « antimoine », sans se référer au composé alchimique, devenu archaïque de nos jours, peut signifier simplement : « anti-moine » : se méfier des clercs, de la religion par exemple ; le prénom « Renée » signifie « re-naît ». Néanmoins, Jung comme Perrot, insistent sur la nécessité, pour interpréter efficacement ce double sens, de comprendre la situation du rêveur, ainsi que son langage personnel, sans quoi les interprétations ne seraient que fantaisistes ou trop analysées.

Cependant, Perrot ne cherche pas l'interprétation systématique : « le seul plan qui nous intéresse est celui des analogies signifiantes de la langue des oiseaux[26]. »

Niveaux d'interprétation

« (..) la Langue des Oiseaux ne peut s’apprendre avec les Sens, la mémorisation. Elle ne se laisse pas dévoiler non plus avec la logique limitée du connu actuel. Le mot, la lettre, sont des « koans » déployant, et basés sur, une logique plus logique que la logique officielle ! » : Yves Monin dans son livre Hiéroglyphes Français et Langue des Oiseaux pointe là un autre niveau d'interprétation de la langue des oiseaux correspondant à la symbolique graphique et non plus phonétique. En somme la lettre, sa forme en elle-même et dans le mot, combinée avec le sens du mot, recevrait une signification souvent cosmogonique ou ésotérique.

Monin remarque à ce propos que le mot « O.I.s.E.A.U » a la particularité de faire appel à presque[27] toutes les voyelles. Or, pour les kabalistes, les voyelles sont les lettres du fondement de la création (voir ci-après pour l'explication), comme si en soi il résumait l'essence du cosmos, de là une hypothèse de l'origine de l'expression « langue des oiseaux », non en référence aux volatiles mais au fait qu'elle prend part au plan gnostique.

Un jeu de lettres

Beham, (Hans) Sebald (1500-1550), Grammatica.

La « langue des oiseaux » donne une signification particulière aux lettres ; elle s'apparente en cela à la Kabbale qui voit dans chaque lettre une représentation iconique et graphique d'un concept existentiel ou divin, de l'ordre du « cosmos » : le a est la loi, le e le monde. Dante Alighieri, dans son Enfer cite :

« Avant ma descente au deuil infernal / I s'appelait sur la terre le Bien (Suprême) »

Cette conception est à l'origine de certaine lecture occultiste de textes fondateurs comme l'œuvre de Rabelais Pantagruel, dite fondée sur la langue des oiseaux. Les personnages de Grand Gousier, Gargamel, Gargantuas, etc. tireraient leurs initiales de la lettre G représentant la recherche intérieure en langue des oiseaux. En effet, la lettre G est comme retournée sur elle-même. Le P de Pantagruel représenterait alors la quintessence, c'est-à-dire le cinquième élément, en plus des éléments terre eau feu et air, symbole alchimique de la Totalité.

Le S par exemple représente, lui, la recherche « dans tous les sens », sans axe (au contraire du P, qui possède un axe, symbole de l'axis mundi).

Le A symboliserait la création alors que le Z relie les plans céleste et terrestre.

Quant au V il représente une sorte d'entonnoir, la figure symbolique du verre, du vase (le Saint Graal est une des figures possibles) ou encore de l'athanor, ce contenant mystique des alchimistes. De là l'interprétation que les noms données aux eaux minérales commencent toutes par la lettre V telles : Vichy, Vittel, Volvic, Évian ; le dicton latin « In vino veritas » enfin renforce la symbolique comme le souligne Christian Dufour dans son livre Entendre les mots qui disent les maux (2001).

W. John Weilgart a repris cette symbolique des lettres dans la constitution de la langue AUI, langage crée pour communiquer avec les extra-terrestres.

Un jeu de mots

La langue des oiseaux fonctionne sur le registre de la spontanéité et de la compréhension directe.

Un exemple classique des jeux de mots permis par la langue des oiseaux est le nom des auberges : « au lion d'or », nom très fréquent dans le métier. Cette pratique tirerait son origine de l'analphabétisme des voyageurs de l'époque qui, afin de savoir où trouver l'auberge, se contentaient de lire phonétiquement l'enseigne (ce qui donne, si l'on décode les syllabes de façon plus lente : « au lit on dort »)

Luc Bige, dans son Petit dictionnaire en langue des oiseaux. Prénoms, Pathologies Et Quelques Autres dresse une liste de ces expressions courantes tenant du double sens. Il montre également qu'à chaque mot les possibilités augmentent, et qu'à partir d'une phrase simple on peut, selon diverses méthodes (déconstruction des syllabes, homographes, homophonie, champs sémantiques...), obtenir à chaque fois des phrases d'autres sens. Il prend notamment l'exemple du syntagme simple : « Ma chandelle » qui peut donner :

ma chan d'elle > elle m'a chanté > mon chant qui vient d'elle >

mon chandail

ma champ d'elle > mon champ qui vient d'elle

mâ(che) champ d'elle > mâche (laboure, etc.) son champ

mâ(che) chant d'ailes > le chant de ceux qui ont des ailes

À chaque mot, les possibilités de sens sont innombrables, constat renforcé par la nature de la langue française.

Néologismes et fausses étymologies

La langue des oiseaux peut également se reposer sur des éléments latins et grecs, utilisés dans les néologismes scientifiques notamment (technique de la « composition », par opposition à l'étymologie naturelle). Le mot codé acquiert ainsi une interprétation davantage mystique et abstraite :

Par exemple, pour le mot « chandelle », on peut le décomposer en « chan-dele » renvoyant aux morphèmes :

  • « chan » connoté au substantif « chant »,
  • « dèle » du grec dêlos qui signifie « apparent ».

On obtient ainsi un sens créé de toutes pièces à la signification propre (« chant apparent »), partagée et réceptionnée que par ceux connaissant le procédé. Cette technique accroît encore le nombre de possibilités de la langue de voir du sens codé dans chaque mot. Elle est à rapprocher du phénomène populaire de la « fausse étymologie ».

Ce procédé est connu des alchimistes ; Paracelse notamment enrichit ses traités de nombre de concepts inventés sur des racines grecques et latines, renvoyant à des sonorités de la langue française, et donc à des mots aux sens précis, non référencés dans le lexique.

Anagrammes

La langue des oiseaux, en plus des possibilités phonétiques, de la forme des lettres et des racines des langues étrangères, use de la permutation des lettres du mot. Les anagrammes sont monnaie courante dans les textes codés. Le patronyme « Rachel » par exemple renvoie au nom de « Charles » dans le cas d'anagramme simple. Mais on peut aussi étendre l'extension du mot à un inventaire de lexiques proches, par la méthode anagrammique du scrabble : le mot « chandelle » renvoie alors à « chaldeen », « allèche », « chenal », « nacelle», etc.

Les permutations étant innombrables, le codage ne peut se faire sans une clé de cryptographie.

Thèmes de la langue des oiseaux

Noms de lieux

La ville de Lyon est au centre de la France, c'est par ses routes que nous (re)« lions » le pays.

Noms anatomiques ou médicaux

Nombreux dont les homonymes et faux-amis complémentaires. Par exemple « dent » (du latin dens) est l'outil qui rentre « dans » (du latin intus) la nourriture pour qu'elle soit digérée « dans » le corps. L'ouvrage de Michel Odoul regorge de ce genre d'analogies entre « mots » & « maux ». Par exemple, les problèmes de « genoux » seraient liés à la sociabilité, c'est-à-dire aux liens entre le « je » et le « nous »[28].

Linguistique et langue des oiseaux

Les mécanismes linguistiques mis en œuvre dans la langue des oiseaux sont nombreux ; on peut citer :

Palindrome fondé sur le carré Sator.

Ces différents critères en font un outil d'interprétation de sens, notamment employé en mythanalyse, dans la démarche dite d'amplification d'un texte.

L'ouvrage de Bige, Petit dictionnaire en langue des oiseaux. Prénoms, Pathologies Et Quelques Autres dévoile les méthodes créatives pour constituer des jeux de mots symboliques, méthodes qui tiennent indéniablement de la grammaire et de la syntaxe combinatoires. Il propose d'abord de commencer par écrire le mot ou de constituer une périphrase, puis, syllabe par syllabe, d'écrire toutes les possibilités et « dans tous les sens » afin de dévoiler l'ensemble des connotations. Bige donne également comme possibilité d'utiliser le « verlan » (écrire les syllabes dans l'ordre inverse) ou le palindrome (lecture dans les deux sens du mot, avec deux significations différentes). La phase suivante est celle de la suggestion d'autres mots qui ressemblent, ou de les compléter au besoin et selon la symbolique que l'on souhaite suggérer. Enfin, la langue des oiseaux étant avant tout phonétique, Bige conseille de lire à voix haute les mots construits afin de favoriser les échos phoniques et les significations cachées.

En littérature

Jonathan Swift, maître des jeux de mots.

Les recours de la littérature à la langue des oiseaux sont divers et variés. Pour Fulcanelli[29] : « Les œuvres de François Rabelais et celles de Cyrano de Bergerac, le Don Quichotte de Miguel de Cervantes, les Voyages de Gulliver de Swift, le Songe de Poliphile de Francesco Colonna, les Contes de ma mère l'Oye, de Charles Perrault » sont fondés sur les jeux de mots de cette langue secrète. Cyrano de Bergerac dans Les États et empires du soleil rencontre un oiseau merveilleux qui lui parle en chantant et qui cite certains poètes ayant réussi à parler la langue des oiseaux comme Apollonios de Tyane, Anaximandre ou encore Ésope.

Pour Richard Khaitzine, dans La langue des oiseaux, les poèmes d’amour courtois sont écrits en langue des oiseaux, qui est une langue avant tout positive, heureuse, « qui chante » le Gai Savoir.

Les contes philosophiques dissimulent également un double sens, par le jeu des sonorités et des patronymes, par les fausses étymologies aussi. Jonathan Swift, auteur des Voyages de Gulliver , a d’ailleurs publié un livre sur le « pun », ou art anglais de faire des jeux de mots, ce qui témoigne de sa connaissance de la langue des oiseaux, en 1719, intitulé l’ Ars punicat, the Art of punning or the Flower of languages in 79 rules (l'art punique art du calembour, ou la fleur des langues en 79 règles), qui peut se traduire par « l’Art du Calembour ». Swift serait ainsi, pour Gérard de Sède, le créateur de la langue « punique » (de « pun » : calembour, non de « punique «), langue qui « par ses jeux de mots, savait créer les noms propres d’hommes ». L'abbé Boudet s'en serait ainsi inspiré pour coder les noms de lieux mystérieux de son traité. À la suite de Swift, sur son modèle, le comte Joseph de Maistre code ses ouvrages et ses références toponymiques.

Les contes pour enfant ont également recours aux jeux de mots. Roald Dahl dans Le Bon Gros Géant lui fait ainsi dire : « savouricieux, exécrignobles, sanglier et singulier, autruche et Autriche, goût volatile », bon exemple de langue des oiseaux.

Isotopies littéraires

On a souvent cherché les « clés » de certaines œuvres littéraires dont les personnages représentent des personnalités historiques, critiquées par l'auteur. C'est le cas des portraits de Jean de La Bruyère ou des personnages des romans fleuve de la Préciosité ou des Lumières. En plus de cela, des auteurs construisent le nom de leurs personnages au moyen d'un codage général témoignant de leurs visions du monde.

Ainsi a-t-on pu voir dans les personnages dont le nom se termine par le son /er/ en référence à l'élément « air » dans l'œuvre de Marcel Proust (Cambremer, Albert, Pierre, Robert, Gilberte, entre autres) une résurgence inconsciente de l'asthme de l'auteur. Une telle présence de lexiques se rapportant à un domaine ou à un champ sémantique se nomme, lorsqu'elle est structurée subtilement, isotopie. Elle peut être néanmoins perçue comme une faute de l'auteur ; Gérard de Nerval par exemple ne cesse de commettre la même erreur de graphie en dupliquant la lettre R[30]

Les surréalistes font également usage de cette possibilité de la langue des oiseaux : induire et suggérer inconsciemment (de manière subliminale) un sentiment ou une impression par l'emploi de sonorités ou de mots symboliques, codés au moyen d'un réseau de renvois et d'échos. L'utilisation en poésie des assonances et allitérations et d'autres figures de style permet des jeux de mots complexes. André Breton dans La clé des champs (1953) parle d'un langage des oiseaux, « idiome phonétique fondé uniquement sur l'assonance » utilisé dans la Kabbale. Nul doute que les surréalistes ont su réutiliser le « langage alchimique » du Moyen Âge : « le tout pour le Surréalisme a été de se convaincre qu'on avait mis la main sur la « matière première » (au sens alchimique) du langage[31]. »

C'est le cas d'écrivains comme Raymond Roussel, Alfred Jarry (avec son Ubu roi), Maurice Leblanc, le poète Pierre Albert-Birot et Gaston Leroux.

Bien au-delà de la simple isotopie, certains auteurs se plaisent à bâtir une langue propre à leur univers. 'Jennifer Hatte dans La langue secrète de Jean Cocteau. La mythologie personnelle du poète et l'histoire cachée des Enfants terribles, montre que le poète moderne a construit consciemment ou pas une langue secrète, faite d'images et d'échos phoniques qui n'est pas sans rappeler les poèmes codés de la Résistance française sous l'Occupation, dont le poème Les Yeux d'Elsa de Louis Aragon donne un bon exemple des possibilités interprétatives. Certains messages radiodiffusés à la BBC, la radio anglaise pendant la Seconde Guerre mondiale, en dépit de l'existence a priori d'un code convenu entre les résistants français et le commandement, usent de la langue des oiseaux ; par exemple la phrase « Les noix sont sèches » fait référence au Bombardement de la gare de triage de Noisy-le-sec[32].

Signalons la conversation avec des oiseaux qui a lieu dans le film de Pier Paolo Pasolini Uccellacci e Uccellini (des oiseaux petits et grands) de 1966 et enfin le travail sur le langage du plasticien Jean Daviot qui enregistre l'envers de l'envers de la voix et dont l'une de ses vidéos « Les cris de mésanges » parle de la langue des oiseaux.

Notes et références

  1. « Langue des corbeaux » in Dictionnaire des langues imaginaires.
  2. 2,0 et 2,1 « La Langue des oiseaux », Cript Kabbale (consulté le ), p. 1.
  3. Siculus Diodorus, Histoire universelle de Diodore de Sicile (MDCCXXXVII-MDCCXLIV [1737-1744]).
  4. Fulcanelli, Les Demeures Philosophales, t. II, p. 267.
  5. « Toute la création peut se résumer dans le seul tracé du nom d'Allah » sur soufisme.org.
  6. « L’Affaire Fulcanelli », sur fulcanelli.info (consulté le )
  7. Fulcanelli, Les Demeures Philosophales, t. I, p. 159.
  8. Fulcanelli, Les Demeures Philosophales, t. I, p. 164.
  9. Fulcanelli, Les Demeures Philosophales, t. I, p. 167.
  10. « Le rébus de l'église de saint Grégoire-du-Vièvre », sur hdelboy.club.fr.
  11. « Blasons alchimiques &site=hdelboy.club.fr ».
  12. Le Mystère des cathédrales, t. I, p. 55.
  13. Le Mystère des cathédrales, t. I, p. 56.
  14. Chapitre III : « La langue punique » (au sujet des langues africaines).
  15. La vraie langue celtique, p. 105.
  16. 16,0 et 16,1 p. 112.
  17. p. 92.
  18. Coran, XXVII, 15.
  19. Voir notamment : L'Université du symbole et l'Association Hestia Falcignel.
  20. Écrits, éditions du seuil, 2 vol., Paris, 1966, réed. 1999.
  21. www.cgjung.net[réf. incomplète]
  22. Coran teint, souriate XXIII, "gazouillis", p. 191.
  23. Atalante fugitive, p. 309.
  24. La Voie de la Transformation, p. 299.
  25. La Voie de la Transformation, p. 300.
  26. La Voie de la Transformation, p. 325.
  27. Y manque.
  28. Dis-moi où tu as mal : le lexique, Paris, Albin Michel,  
  29. Les Demeures Philosophales, t. II, p. 269.
  30. Richard Khaitzine, « Le rebis... de Gérard de Nerval à Raymond Roussel », sur triplov.com.
  31. José Pierre, André Breton et la peinture, L'Âge de l'homme, coll. « Cahiers des Avant-Gardes », [lire en ligne] .
  32. « Ici Londres - Les messages personnels de la BBC », sur doctsf.com.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Grasset d'Orcet, Matériaux cryptographiques, Tome Premier, recueillis et assemblés par B. Allieu et A. Barthélémy, 1983
  • Fulcanelli, Les demeures philosophales et Le Mystère des Cathédrales, Ed. Jean-Jacques Pauvert, 1979
  • Yves Emmanuel Monin, Hiéroglyphes français et Langue des Oiseaux, 1re édition, Le Point d'Eau édit., 1982. 6e édition, Y.Monin édit., 2006.
  • Yves Monin (Emmanuel), Traité de Réintégration des Structures de l'Existence (commentaires de Hiéroglyphie, de Langue des Oiseaux et de Grammaire), Auto-édition, 1993. (ISBN 2-910097-00-5)
  • Attar (Farîd-ud-Dîn), Le langage des oiseaux, Paris, Albin Michel, traduit du persan par Garcin de Tassy, 1996
  • Henry Boudet, La vraie langue celtique, Ed. Belisane, facsimilé de 1886.
  • Luc Bige, Petit dictionnaire en langue des oiseaux.Prénoms, Pathologies Et Quelques Autres, (ISBN 978-2912668-31-8), Éditeur : Janus, Collection : Systèmes Du Monde, 2006
  • Richard Khaitzine, La langue des oiseaux : Quand ésotérisme et littérature se rencontrent, Poche, Dervy 2007, (ISBN 2-84454-507-6)
  • Baudouin Burger, La langue des oiseaux - le sens caché des mots, éd. LE DAUPHIN BLANC, 2003, (ISBN 2-89436-097-5) et La langue des oiseaux - à la recherche du sens perdu des mots, éd. L.Courteau (Québec), 2010, (ISBN 978-2-89239-334-7)
  • René Guénon, Symboles de la Science sacrée, coll. « Tradition », Éditions Gallimard, 1962

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