Littérature japonaise au XXIe siècle
Plus que toutes les autres, la littérature japonaise contemporaine est emblématique de notre 21ème siècle. Par son style d'une part et par les thématiques abordées, la littérature japonaise révèle les caractéristiques de notre nouveau siècle.[style à revoir]
Elle débute en 1987, presque au changement d'époque de l'ère Showa à l'ère Heisei (1989, décès de l'empereur Hiro Ito). Une nouvelle génération d'écrivains japonais émerge. Ils sont nés après la guerre et ont vécus à l'étranger. Ils peuvent ainsi s'affranchir des multiples drames du 20ème siècle qui ont fortement influencés la génération précédente d'écrivains (Kawabata Yasunari, Ibuse Masuji, Nosaka Akiyuki, Shiina Rinzô, Mishima Yukio ou Oe Kenzaburo).
Le style d'écriture
Deux livres emblématiques sont apparus en 1987 : Kitchen[1] de Yoshimoto Banana et La ballade de l'impossible[2] de Murakami Haruki. Le contenu comme le style de ces deux livres marquent un tournant. Le style est léger avec une écriture proche du langage. On ne trouve plus d'interminables descriptions introductives. Les romans sont écrits avec des phrases courtes, créant ainsi un rythme rapide et tellement agréable à la lecture. La séquence rapide de phrases courtes tient en haleine le lecteur du 21ème siècle qui, habitué aux médias digitaux, n'est plus réceptif à de trop longues diatribes. La recherche de la sobriété et la pureté des mots ne sont pas nouveaux. Les auteurs japonais entretiennent depuis des siècles la culture des poèmes courts avec leurs célèbres haikus (apparus à la fin du 16ème siècle).
L'individualisation de la société
Dans la littérature occidentale, on raconte généralement les péripéties extraordinaires survenant au commun des mortels. A l'inverse, dans la littérature japonaise, les personnages principaux sont souvent des marginaux qui n'arrivent pas à se fondre dans une société qui impose implacablement ses normes. Avec sa sensibilité artistique, l'écrivain souffre au quotidien de sa différence dans une société japonaise qui, dès l'enfance, demande de se fondre dans le moule très rigide des règles de la famille, de l'école puis du travail. Le lecteur occidental ressent de l'empathie pour ces personnages qui essayent, plutôt mal que bien, de revendiquer leur différence ou simplement de survivre. Les auteurs japonais se sont mis à écrire sur un clavier comme on dépose ses sentiments, en juxtaposant des couches de la vie quotidienne. Loin des clichés exotiques, les écrivains d'aujourd'hui nous offrent au contraire une image très crue et souvent dérangeante de leur pays, dans des décors - urbains pour la plupart - où la violence couve comme le feu sous la glace, où les êtres souffrent de ne plus pouvoir vivre en harmonie avec une nature saccagée, où la prolifération des fantasmes les plus extravagants sert de parage à une inquiétude profonde.
Le petit joueur d'échecs[3] d'Ogawa Yoko raconte l'histoire d'un jeune homme qui joue aux échecs enfermé dans un automate. Il ne parvient à bien jouer, à être quelqu'un, que enfermé dans cette boîte. Ogawa Yoko décrit avec beaucoup d'intelligence et de finesse le poids des règles de la société qui formate et déforme les individus.
Cette mise en évidence de la différence de chaque individu est un thème majeur du 21ème siècle. Chaque jeune veut affirmer sa personnalité, son style et sa différence. Ce n'est pas étonnant que cela ressorte du Japon, pays qui impose aux individus des rôles de moutons. Le Japon est passé en moins d'un siècle d'une société clanique, dans un premier temps à une société qui valorise la famille nucléaire, pour finalement devenir aussi une société de l'individu.
L'écologie
Evidemment, les Japonais n'ont pas inventé l'écologie. Mais leur approche à la nature et à l'environnement est intéressante et originale. Le thème de l'écologie est omniprésent, mais il n'est pas traité de façon militante ou revendicatrice. Le mot nature se dit Shizen. C'est un concept qui signifie un monde en soi, l'ensemble de l'Univers et de ses éléments. L'Homme faisant partie de cet univers, il a le droit de le modifier. 70% du territoire japonais est inhospitalier (montagnes et forêts impénétrables, régions à risques d'érosion ou de glissement de terrain, séismes et tsunamis). Les Japonais évitent ces régions habitées par des dieux ou des esprits (Kamis). Le Japonais aime la nature maîtrisée, il restera sur les sentiers balisés. Mais les dégâts imposés à et par la nature (en référence aux tremblements de terre ou aux tsunamis) créent un déséquilibre chez l'être humain qui ne parvient plus à trouver sérénité et bonheur. Le message n'en est que plus fort. Si on perturbe l'équilibre, on perturbe le tout. Dans Après le tremblement de terre[4], Murakami Haruki montre dans six nouvelles les conséquences du tremblement de terre sur la vie des gens. Il ne parle pas du problème de maisons démolies ou de conduites d'eau rompues. Il montre comment un élément extérieur peut raviver la faille intérieure présente en tout être et peut par exemple perturber le fragile équilibre d'un couple; c'est une sorte d'effet papillon à la puissance dix. Les Japonais, de tradition Shintoiste, sont restés très superstitieux et animistes. Ils voient une âme dans chaque chose, chaque arbre, chaque objet. De plus, si l'on est touché par un malheur (bombe, tsunami, tremblement de terre,...) on n'est pas victime malheureuse et innocente, mais on est mal vu et au ban de la société car maudits par les dieux.
Entre le réel et le non-réel
Dans les années nonante, Murakami Haruki faisait déjà souvent allusion aux deux mondes : réel et irréel. Il sentait venir ce phénomène de société qui touche la jeunesse qui, connectée par les nouveaux outils digitaux, vit déconnectée de la réalité. Lorsque vous visitez un temple Shintoiste, vous devez passer sous un Tori et saluer les dieux. Si vous oubliez de le faire en sortant, vous demeurerez dans le monde parallèle. Ainsi, sans aller jusqu'à une littérature fantastique, on se surprend à accepter que le personnage principal d'un livre parvienne à parler aux chats (Kafka sur le rivage[5]) ou que deux lunes cohabitent dans le ciel (1Q84[6]). Par ce procédé, les histoires délivrent un double message, une profondeur philosophique à celui qui prend le temps et le recul de le chercher. Une fois plongé dans le monde irréel, il devient très difficile de se reconnecter avec la réalité.
L'importance des femmes
Le 21ème siècle sera toujours plus celui de la femme. Leur rôle toujours plus important à tous les niveaux bouleverse complètement notre société. Derrière les immenses succès des deux Murakami (Hariku et Ryu), de nombreuses femmes dominent la littérature actuelle. Elles sont là pour nous rappeler les fondements des vraies valeurs de l'humanité. Yoshimoto Banana décrit tout en finesse le spleen des adolescents, le désarroi de toute une génération dans Kitchen[7], une comédie aigre-douce. Ogawa Yoko (La Piscine, La Mer[8]) révèle des femmes au moment où quelque chose se casse en eux. Elle est la calligraphe des fêlures muettes, des brèches physiques et mentales. Son écriture est une lumière dans un monde privé de transcendance. Elle est sans conteste l'écrivain japonais actuel qui atteint le plus haut niveau de réflexion intellectuel. Tawada Yoko décrit des femmes fragiles qui, sur les quais de gare, hésitent toujours entre deux destinations, entre le rêve et la réalité (Trains de nuit avec suspects[9]). Toutes les femmes sont souvent autour de 25 - 30 ans à ce carrefour de leur vie : quelle orientation donner à sa vie, poursuivre se rêves de carrière en renonçant à beaucoup de choses ou se ranger dans le moule de la société et du mariage ? Il ne faut pas négliger Kawakami Hiromi qui avec ses histoires aux apparences simples nous permet de ressentir pleinement avec finesse et émotions le vécu quotidien des japonais (Les années douces, La brocante Nakano, Les 10 amours de Monsieur Nishino[10]). La poésie contemporaine n'est pas en reste avec Mayuzumi Madoka qui avec ses haikus tente de consoler et de toucher ses concitoyens (Haikus du temps présent[11]). N'oublions pas la grande tradition des femmes écrivains au Japon. Le premier roman psychologique de toute l'histoire de l'humanité, Le Dit du Genji[12], a été écrit aux environs de 1008 par une femme, Murasaki Shikibu. Cet immense chef-d'oeuvre a influencé mille ans de générations d'écrivains. Aujourd'hui les femmes dominent la production littéraire et trustent prix littéraires et succès de librairie.
Retour à la simplicité : morale, argent et cuisine
La religion est en perte de vitesse en ce début de siècle. Le Japon permet d'imaginer une société dépourvue des valeurs judéo-chrétiennes. Poussés par d'autres forces sociales, les comportements des personnages, notamment sexuels, sont souvent déroutants pour le lecteur occidental. Le fait d'avoir trop bu permet d'excuser un comportement inapproprié. La faute en sera attenuée. Le thème de l'argent est quasiment inexistant, car l'argent n'apporte pas de transcendance. A tel point que l'on se demande souvent de quoi vivent les personnages des romans. Une nouvelle génération émerge : les furitâ (de l'anglais freeter, free time) qui multiplient les petits boulots, qui refusent l'efficacité, le capitalisme effréné. Ils cherchent à profiter de l'instant présent, d'un pique-nique au bord d'une rivière ou de flâner dans un temple. La montagne à gravir - je la fais attendre - pour cueillir les églantines (de Mayuzumi Madoka[13]) Les descriptions culinaires sont omniprésentes. La cuisine joue un rôle social important. Le lecteur occidental ne mesure pas toujours correctement les sous-entendus des descriptions et contextes d'un repas, avec ses relations de hiérarchie et de dépendance entre les personnages en cuisine ou à table. Mais ces passages gastronomiques, avec les descriptions minutieuses de recettes originales et succulentes, offrent toujours de bien agréables moments de lecture. Dans Le restaurant de l'amour retrouvé[14], Ogawa Ito, l'héroine sélectionne ses produits avec un soin religieux pour réaliser des repas qui permettent aux convives de retrouver leur amour de départ. En prenant du recul, on réalise que l'héroïne recherche les raisons qui font que sa mère ne lui ait pas porté l'amour maternel auquel tout enfant a droit.
L'image
Nous vivons dans une société de l'image. Le Japon a bouleversé l'industrie de la bande-dessinée avec ses mangas. Dans un petit format, dessinés en noir-blanc sur du papier de mauvaise qualité, leur succès est pourtant phénoménal. Les mangas représentent 30% des ventes de BD en France. Les ventes mondiales représentent souvent des millions d'exemplaires. Les grands succès sont Dragon Ball (250 millions d'exemplaires vendus), puis Naruto et One piece. Très populaires, les mangas rebutent pourtant les élites intellectuelles aussi au Japon. Le terme de manga a été utilisé pour la première fois par Hokusai, le célèbre dessinateur d'estampes. Ga = représentation graphique Man = imprécision, légèreté ce qui nous donne dessin au trait libre, esquisse au gré de la fantaisie. Le manga n'est pas une évolution moderne des estampes. C'est une réaction culturelle à l'occupation américaine (1945 à 1952) en regard aux comics américains dont il reprend les recettes : magazines, histoires sérielles, format de poche, papier bon marché, noir-blanc. Les yeux des personnages sont ronds (pas bridés) à cause du film Bambi de Disney. Les auteurs japonais ont un extraordinaire sens du scénario. Ils savent vraiment bien raconter des histoires. Il y a une longue tradition au Japon à mélanger littérature et dessin. La première version du Dit du Genji était déjà parsemée de dessins. De nombreux textes et poèmes historiques, sous formes de rouleaux, étaient également enrichis par des dessins.
Conclusion
La littérature japonaise a su intégrer toutes les nouvelles tendances de notre société, miser sur l'arrivée massive de jeunes romancières et tirer parti habilement de la globalisation (en exportant ses auteurs). Elle offre une vision contrastée, passionnante ou irritante, d'une société dynamique et fière de sa culture. Plus que tout autre littérature actuelle, elle est entrée totalement dans le 21ème siècle en traitant des grands problèmes et enjeux de notre époque.
Notes et références
- ↑ Gallimard, Folio
- ↑ 10 X 18
- ↑ Actes Sud, Babel
- ↑ 10 X 18
- ↑ Murakami Haruki, 10 X 18
- ↑ Murakami Haruki, 10 X 18
- ↑ Gallimard, Folio
- ↑ Actes Sud, Babel
- ↑ Editions Verdier, Der Doppelgänger
- ↑ Editions Philippe Picquier, Picquier Poche
- ↑ Picquier, poche
- ↑ Diane de Selliers, La petite collection
- ↑ Editions Philippe Picquier, Picquier Poche
- ↑ Editions Philippe Picquier, Picquier Poche
Article publié sur Wikimonde Plus
- Portail de la littérature
- Portail du Japon