Noble vivant noblement

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L'expression « noble vivant noblement » indiquait sous l'Ancien Régime qu'une personne ou une famille noble avait un mode de vie conforme aux usages et coutumes de la Noblesse. En effet, une famille noble qui ne vivait plus noblement perdait sa Noblesse et ne la transmettait pas à ses enfants.

Extension de l'expression à des personnes non nobles

Selon J. de Bourrousse de Laffore, on utilisait aussi l'expression "vivre noblement" pour désigner des personnes non nobles "vivant de leurs revenus et sans exercer une profession ou un état déclaré incompatible avec la position nobiliaire"[1].

Cependant, toutes les personnes vivant de rentes, de professions nobles ou non dérogeantes comme les médecins ou les hauts officiers, n'étaient pas pour autant considérées comme vivant noblement, loin s'en faut. Il fallait d'autres conditions essentielles comme le fait d'être soumis aux coutumes nobles générales du royaume et particulières de la province (majorité, tutelle, partage noble, retrait lignagier,..), de rendre hommage pour les fiefs que l'on tient, d'être soumis aux procédures et aux juridictions de la Noblesse comme le Tribunal des Maréchaux, etc.

Occurrences diverses de l'expression "noble vivant noblement"

On trouve par exemple l'expression "Paul Olivier, vivant noblement" dans un factum de 1687[2].

La Coutume de Vitry, rédigée en 1509, distingue "des nobles vivant noblement, des nobles vivant roturièrement, des nobles ingénus ou roturiers [...]. Les nobles vivant noblement sont nos gentilhommes d'à-présent, les nobles vivant roturièrement sont les gentilhommes qui ont dérogé à leur naissance par le commerce ou par l'exercice des arts mécaniques, et les nobles ingénus ou roturiers sont les personnes de père ou de mère ingénus qui ne sont sujets à aucun droits de jurée, bourgoisie, ni autres prestations personnelles..."[3].

"Le Roy déclara sa volonté, par un arrest célèbre de ce jour-là. Premièrement il voulut que les Nobles, tant de longue que de courte robe, ecclésiastiques, ou non, vivans noblement, demeurassent ex[emptés] de toutes contributions pour tous leurs biens, tant Nobles que ruraux, excepté pour les réparations & entretenemens des Murailles, des chemins, des Ponts, des Puis, des Fontaines, des Fours communs & autres semblables cas de droit."[4].

Le Code Louis XIII contient également cette expression concertant les tutelles des enfants nobles : "La dation de tutelle & curatelle, bail & gouvernement, confection d'Inventaire des biens des mineurs, & personnes nobles vivants noblement, sera & appartiendra ausdits Baillis, Sénéchaux & autres nos juges ressortissans sans moyen en nosdites Cours"[5].

autant que la compétence juridictionnelle : "Et ayons voulu par nos Edicts & ordonnances, privilégier & favorablement traiter les gens Nobles, vivant noblement, nos justiciables, en baillant la cognoissance & juridiction de leurs causes & différents a tous nos juges Présidiaux, comme aucun d'iceux auroit eu par cy-devant, & icelle interdisans ausdids Prevots &: juges subalternes"[5].

cette expression est aussi utilisé dans la définition de la compétence d'un Conseil provincial d'Alsace créé en 1661 par le roi Louis XIV "compétent pour connaître en première instance de "toutes les causes & matières civiles, personnelles & possessoires de Nobles vivant noblement tant en demandant qu'en défendant..."[réf. nécessaire].

Selon le droit coutumier français "Si le père est noble, vivant noblement, et la mere roturiere, les enfants procreez d'eux seront nobles, et suivront la condition du père"[6].

Dans une charte de 1470 concernant la noblesse des francs-fiefs de Normandie acquis jusqu'alors par des roturiers Louis XI ordonna "qu’ ils seraient tenus & réputés pour nobles & dès lors seraient anoblis, ensemble leur postérité née & à naître en loyal mariage, & que la volonté du roi était qu'ils jouissent du privilège de noblesse comme les autres nobles du royaume, en vivant noblement, suivant les armes & se gouvernant en tous actes comme les autres nobles de la province & ne faisant chose dérogeante à noblesse[7].

Exemples de l'utilisation de l'expression par des auteurs contemporains pour désigner le mode de vie de roturiers

"C'est parmi les « vivant noblement » que le roi choisit ceux qu'il veut anoblir, par lettres d'anoblissement notamment. (...). Les « vivant noblement » sont des bourgeois qui vivent comme les nobles, de leurs rentes, « sans faire métier de marchandise ». Cet état est l'idéal de ceux qui souhaitent se rapprocher des nobles, préparer leur propre anoblissement ou ouvrir la voie vers la noblesse à leur descendance. Les fils de pères vivant noblement sont assurés de ne pas être écartés des offices royaux pour indignité lorsqu'ils s'y présentent. Autrement le risque est grand de n'être pas reçu dans la fonction par les membres du corps. (...). La catégorie des « vivant noblement » est reconnue de longue date par les juristes. (...). La valeur suprême n'est pas l'enrichissement, mais la considération acquise par un style de vie, qui évoque celui des nobles en ce qu'il est éloigné de toute activité mercantile (...). (...). Les « vivant noblement » forment une strate inférieure à celle des anoblis, mais supérieure à celle des simples bourgeois[8].

"Les caractéristiques de cette bourgeoisie "vivant noblement" ont été définies de la manière suivante : qualité de "noble homme" donnée au père dans les actes notariés reçus à Paris, possession et exploitation d'un fief. On ne peut pas considérer néanmoins qu'il s'agisse d'une forme de "noblesse taisible" puisque ces familles n'ont jamais cherché à se faire reconnaître comme nobles lors des enquête de maintenue diligentées par Colbert. Cependant, leur pratique sociale les en rapprochait [...] Cette catégorie intermédiaire [était] située à la frontière du tiers état et du second ordre"[9].

Emplois exercés par les "vivant noblement"

Les "vivant noblement" exerçaient des emplois non vils[réf. nécessaire] (à ce titre également occupés par des nobles) qui, ainsi que le précise Roland Mousnier, n'étaient toutefois pas anoblissants[8].

On peut citer :
  • les financiers : fermiers généraux, receveurs généraux des finances, régisseurs généraux des aides, administrateurs généraux des domaines, trésoriers, etc.
  • les officiers de « finance » (les plus riches des receveurs des tailles)
  • les magistrats :
    • les magistrats de « judicature » ou officiers de « judicature » (présidiaux, bailliages, ...). Selon Roland Mousnier, ils portent la qualité de "conseillers du roi".
    • les magistrats des élections (lieutenants, ...)
    • les autres magistrats (Eaux et forêts, amirautés, greniers à sel, ...)
  • les négociants en gros
  • les avocats au Conseil d'État
  • les avocats au Conseil d'État et privé du roi

À ces emplois

s'ajoutaient des distinctions particulières :

Roland Mousnier indique que des magistrats de « judicature » prennent la qualité d'écuyer et usurpent la noblesse et que des magistrats des élections et des officiers de « finance » achètent le titre de « conseiller du roi »[8].

Remarques connexes

Expression utilisée par d'autres auteurs

« Encore que le Portugal passe pour un des plus petits Royaumes qui soit en Europe, il ne laisse pas de produire d'assez grands revenus. Ils consistent dans la perception de la dixième partie des fruits de la terre que l'on Vend., à l'exception néanmoins du bled. Cette levée ne se fait point sur les Ecclésiastiques, non plus que sur les Fidalgues, & sur les Bourgeois qui vivent noblement[10]. »

— M. Lequien de La Neufville, Histoire générale de Portugal

« On donne le nom de noblesse commune ou de gens vivant noblement, à ceux qui comptent parmi leurs ancêtres des généraux ou des sénateurs fameux, ceux dont les familles ont donné des femmes aux czars; ceux qui sont propriétaires de fiefs considérables, ou qui ont brillé par leur mérite sous Pierre le Grand[11]. »

— John Williams, Histoire des gouvernemens du Nord

Notes

  1. J. de BOURROUSSE de LAFFORE, Revue de l'Agenais, 1885, T. XII, p. 5.
  2. Thoisy, Avertissement et inventaire de production, que met & donne par devers le roi, & nosseigneurs de son conseil dame Anne de Longueval, veuve de messire Henry, marquis de Senecterre, comte de Lestrange, 1687, p. 81. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56639375/f172
  3. Charles Maxime Detorcy de Torcy, Recherches chronologiques, historiques et politiques sur la Champagne, 1832, p. 393.
  4. Nicolas Chorier, L'estat politique de la province de Dauphiné, 1671, p. 665.http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5401238d
  5. 5,0 et 5,1 Jacques Corbin, Le Code Louis XIII, roy de France et de Navarre, contenant ses ordonnances et arrests de ses Cours souveraines, 1628, p. 693 et 701.
  6. T. Chauvelain, J. Brodeau, J.-M. Ricard, Nouveau coutumier général: ou corps des coutumes générale, TII 2, 1724
  7. Denis Diderot, Jean Le Rond d'Alembert « Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers » 1765, page 172.
  8. 8,0 8,1 et 8,2 Roland Mousnier, Les institutions de la France sous la monarchie absolue, 2005, pages 172 à 187.
  9. Samuel Gibiat, Hiérarchies sociales et ennoblissement, 2006, page 386.
  10. M. Lequien de La Neufville, Histoire générale de Portugal,1700,Tome 1, p.62. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5801968x
  11. J. Williams, Histoire des gouvernemens du Nord, 1780, T. III, p. 500.

Bibliographie

  • Roland Mousnier, Les Institutions de la France sous la monarchie absolue, 2005, pages 172 à 187

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