Controverses sur la datation du suaire de Turin par le carbone 14

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Fichier:Saint Suaire de Turin.jpg
Photo en négatif d'une partie du suaire de Turin, 1898

Les controverses sur la datation du suaire de Turin par le carbone 14 font suite aux résultats obtenus dans le cadre d'un programme de datation par le carbone 14 mis en œuvre à la fin des années 1980. Le suaire de Turin est un tissu en lin ancien, dont l'âge et la nature font l'objet d'une vive polémique : pour certains, il s'agit du Saint-Suaire, le linceul ayant recouvert Jésus de Nazareth lorsqu'il fut mis au tombeau tandis que pour d'autres, il s'agit d'une contrefaçon médiévale ou de l'œuvre d'un artiste réalisée à des fins de dévotion.

Protocole de datation et résultats

En 1988, une série d'échantillons prélevés sur le suaire, d'échantillons anciens d'âge connu et d'échantillons témoins ont été datés par trois laboratoires distincts (Université d'Oxford, Université d'Arizona et École Polytechnique Fédérale de Zurich) en utilisant la méthode de mesure par spectrométrie de masse avec accélérateur (C14 SMA). Les résultats sont concordants et donne une date médiévale située entre 1260 et 1390 avec une probabilité de 95 % [1].

L'Église, par l'intermédiaire du Cardinal Ballestrero, annonce les résultats de la datation dans une conférence de presse et estime que le Saint Suaire a dorénavant le statut « d'une merveilleuse icône ».

Réactions aux résultats de la datation radiocarbone

En 1989, M.S. Tite, le coordinateur de la datation par le C14 du British Museum, a déclaré « (…) je ne considère pas que le résultat de la datation radiocarbone du Suaire de Turin montre que le Suaire est une contrefaçon[2]. [...] Montrer que le Suaire est une contrefaçon supposerait une intention frauduleuse et il est clair que la datation au radiocarbone n'apporte aucune preuve à l'appui d'une telle hypothèse[3]. »

Par ailleurs, il a réaffirmé la validité de l'origine médiévale de l'objet daté. Le 10 août 1998, il a déclaré : « Je pense que quand on écrit que je ne considère pas que le suaire est un faux, on fait référence au fait que j'ai dit que la datation du radiocarbone prouve (pour moi au moins !) que le suaire est médiéval, mais elle ne nous dit rien sur la façon dont l'image a été produite. Comme nous ne savons toujours pas comment l'image a été créée, elle a pu être créée par hasard plutôt qu'avec l'intention délibérée de produire un faux suaire du Christ. »[4]

En 1990, le British Museum organisa une exposition intitulée « Faux ? L'art de la duperie ». Trônait au milieu d'un ensemble d'objets comprenant par exemple des fausses monnaies, des crânes faisant référence à l'Homme de Piltdown, des copies des Protocoles des Sages de Sion, la plus grande diapositive au monde du suaire de Turin. Suite à un courrier du vice-président du Centre International d'Études sur le Linceul de Turin (CIELT), le British Museum répondit dans une lettre datée du 23 août : « Il n'était pas question de suggérer que le Linceul avait été créé comme un faux »[5]. Il retira suite à la lettre du CIELT la version du catalogue de 300 pages contenant au dos la mention suivante : « Qu'est-ce qu'un faux et pourquoi les faux sont-ils faits ? Est-ce que les faussaires du Linceul de Turin et de l'Homme de Piltdown avaient les mêmes motivations ? »[6].

En 1997, après avoir pris sa retraite, le Cardinal Ballestrero a déclaré dans une interview donnée au journal allemand Die Welt du 5 septembre : « À mon avis, le Suaire de Turin est authentique. La mesure par radiocarbone concluant à un âge médiéval du Suaire semble avoir été réalisée sans l'attention requise. » [7]

Critiques du mode de prélèvement[8]

Procédure

Le prélèvement a été effectué sans que soit dressé un procès-verbal des opérations. Par conséquent, au symposium de Paris des 7 et 8 septembre 1989, Riggi et Testore, qui ont matériellement coupé et pesé le morceau, n'ont pas indiqué les mêmes masses [9].

Les deux premiers protocoles de mesure mentionnaient explicitement l'importance de prélever plusieurs échantillons à divers endroits en vue d'assurer la représentativité de la datation.

Présence de fibres étrangères

L'échantillon prélevé juste à côté en 1973 par Gilbert Raes, de l'Institut du textile de Gand, avait permis de mettre en évidence la présence de fibres étrangères de coton dans les fils de lin [10].

G. Riggi note dans son rapport qu'après avoir coupé l'échantillon[11] d'environ 8 cm², il fut réduit à 7 cm² « (…) à cause de la présence gênante dans le tissu lui-même de fils d'une autre nature, qui, même en quantité minime, auraient pu entraîner des variations dans la datation, étant une adjonction tardive. »[12]

P. H. South, lors de son analyse pour le compte du laboratoire d'Oxford, a trouvé des signes évocateurs de coton[13]. Cela lui semblait être un ajout de matière. Teddy Hall, pour le compte du même laboratoire, a observé que des fibres étaient mal positionnées. Malgré ces observations, aucune analyse physico-chimique de l'échantillon ne fût préconisée par les responsables du laboratoire en charge de la mesure avant sa destruction.

La validité des résultats de la datation par le carbone 14

L'avis de Jacques Évin

Jacques Évin est le directeur et fondateur du laboratoire de datation par le C14 de l'université de Lyon. Il a participé au groupe de recherche du physicien Luigi Gonella, mandaté par le cardinal archevêque de Turin, pour dater le Suaire de Turin. Il défend fermement la validité des conclusions de l'étude [14].

Après avoir été partisan de l'authenticité du suaire de Turin[15], il a proposé en 2000, lors d'un symposium sur le sujet[16], en tant que représentant de l'expertise radiocarbone, une nouvelle opération de datation[17]. Il a toutefois déclaré en 2005 que « Les techniques utilisées, le protocole, tout concourt à dire, sans aucune discussion possible, que le suaire est médiéval. Je n'admets pas les ambiguïtés qu'entretiennent certains. En tant que chrétien, je les considère comme une forme d'usurpation spirituelle. »[18]

Les critiques de la datation par le radiocarbone

Après 19 ans de contre-analyse, les résultats des datations concluant à une âge médiéval de l'étoffe ne sont contestés par aucun spécialiste de la datation par le carbone 14 ni par aucune institution, université, laboratoire, mais seulement par quelques individus [19],[20][réf. à confirmer],[21].

La position de Raymond Rogers, professeur de chimie à l'université de Los Alamos et directeur de recherche du STURP (Shroud of Turin Research Project), a fait l'objet d'une publication dans une revue scientifique à comité de lecture [22]. Il propose une datation suivant une méthode qu'il a mis au point, par mesure de la concentration de vanilline. Il a été fortement critiqué pour l'utilisation qu'il fait de cette méthode jamais calibrée pour contester la méthode largement éprouvée du carbone 14[23].

Pour Jacques Évin, la diminution de la vanilline n'est pas régulière dans le temps et dépend trop des conditions d'humidité et de température pour être un critère utilisable. D'autres scientifiques se joignent à lui pour dénoncer les faiblesses de l'article de Rogers (absence de données-source, coquilles dans les formules mathématiques, marge d'incertitude non prise en compte) et pour clamer la fiabilité de la datation au carbone et la possibilité de vérifier les résultats avec d'autres méthodes telles que la dendrochronologie [24].

Les personnes ayant critiqué son article se sont par contre abstenues de commenter les arguments de Rogers concernant la non-représentativité de l'échantillon prélevé par rapport au suaire de Turin[25]:

  • les fils de surface des échantillons dits « Raes » (prélevé en 1973) et « radiocarbone » (pour la datation de 1988) sont recouverts, et eux seuls sur le suaire, d'une teinture rose garance dans un liant de gomme arabique et un mordant d'oxyde d'aluminium hydraté. Ce type de teinture n'apparut en Europe qu'à la fin du XIIIe siècle.
  • la vanilline (molécule du lin qui disparaît au cours du temps) est présente en quantité décelable seulement sur les échantillons Raes et radiocarbone et nulle part ailleurs sur le suaire.

Par ailleurs, pour confirmer la justesse de ses conclusions, Raymond Rogers a fait appel à un expert du Georgia Tech. Celui-ci confirma la validité de son analyse[26].

Cependant, les échantillons utilisés par le professeur Rogers, tant au titre des prélèvements « Raes » de 1973 qu'au titre des prélèvements « radiocarbone » de 1988, sont d'origine non avérée : ils auraient été remis au professeur Rogers par le professeur Luigi Gonella, qui aurait eu accès aux deux sources d'échantillons, et aurait prélevé des fibres de l'échantillon « radiocarbone » de façon « non officielle », donc sans aucun protocole, ni procès-verbal du prélèvement[27].

Christopher Bronk Ramsey, directeur de l'Institut du radiocarbone par accélérateur d'Oxford, a déclaré en février 2008 à la BBC qu'il était possible que les résultats de la datation du suaire de Turin soient entachés d'erreur, les échantillons analysés n'étant peut-être pas représentatifs de l'ensemble et/ou peut-être victimes de pollution organique. Il a toutefois souligné qu'il serait surpris que cette imprécision soit telle qu'elle ait provoqué une erreur de mille ans[28].

Au premier semestre 2008, John P. Jackson a convaincu le laboratoire d'Oxford de procéder à de nouvelles analyses pour connaître la validité de son hypothèse personnelle[29] quant aux causes d'une possible non pertinence de la datation de 1988[30].

Au mois d'août 2008, lors de l'Ohio Shroud of Turin Conference, Robert Villarreal, chimiste au LANL, déclara que les nouvelles analyses qu'il avait menées avec son équipe sur trois échantillons dit « Raes » de 1973 ont abouti à la conclusion que ceux-ci étaient constitués de coton et non de lin[31]. Ceci pourrait indiquer une absence de représentativité de l'échantillon soumis en 1988 à l'analyse C 14, dans la mesure où la zone de prélèvement en était voisine[32]. Cette critique a déja été avancée par Sue Benford et Joe Marino en 2000[33] et reprise dans l'article de Rogers en 2005. En 2008, un autre article de Benford et Marino défend cette thèse[34]. À la fin de cette même année, les conclusions d'une analyse au microscope d'un échantillon Raes effectuée par Thibault Heimburger vont elles aussi dans ce sens[35].

Notes

  1. Damon et al, Radiocarbon dating the Turin Shroud, Nature, vol. 337, n° 6200 pp. 611-615, 16 février 1989.
  2. Lettre officielle adressée au conseiller scientifique du custode de Turin, le Prof. Gonella, datée du 14 septembre ; fac-simile dans Upinsky 1998, p. 125 : « (…) I myself do not consider that the result of the radiocarbon dating of the Turin Shroud shows the Shroud to be a forgery. »
  3. Cité par Jean Michel Maldamé
  4. « I think that the statement that I do not consider the shroud to be a hoax refers to the fact that I have said that the radiocarbon date proves (to me at least!) that the shroud is medieval but does not tell us anything about how the image was produced. Since we still do not know how the image was produced, it could have been produced by chance rather than with the deliberate intention of faking Christ's shroud. »
  5. fac-simile dans Upinsky 1993, p. 61
  6. fac-simile dans Upinsky 1993, p. 42 : « What is a fake and why are fakes made ? Did the forgers of the Turin Shroud and Piltdown Man have same motives ? ».
  7. cité par van Haelst.
  8. Bollone, pp. 174-180
  9. Bollone, p. 178
  10. G. Raes, Rivista Diocesana Torinese (1976) 79–83.
  11. Précision: il s'agit ici de l'échantillon prélevé en 1988
  12. G. Riggi di Numana, Rapporto Sindone, 3M, Milan, 1988, cité par Bollone p. 175.
  13. P.H. South, « Rogue Fibres found in the Shroud », Textile Horizons, décembre 1988, p. 8.
  14. La datation du linceul de Turin
  15. réponse de Paul-Éric Blanrue à l'article sur le suaire paru dans Les Dossiers d'Archéologie
  16. The Turin Shroud, past, present and future, symposium scientifique international, Turin, 2 au 5 mars 2000.
  17. quid.fr
  18. Jacques Évin, interviewé dans la revue Réforme, 7 juillet 2005.
  19. D. Raffard de Brienne, Enquête sur le Suaire de Turin, Claire Vigne, Paris 1996
  20. « Radiocarbon Dating The Shroud, A Critical Statistical Analysis », Rémy van Haelst, 1997
  21. « The 1988 Shroud of Turin Radiocarbon Tests Reconsidered », Bryan J. Walsh, Shroud of Turin Center Richmond Virginia USA, 1999
  22. Raymond N. Rogers, « Studies on the radiocarbon sample from the shroud of Turin », Thermochimica Acta, 425 (2005), pp. 189–194
  23. Analyse critique de l'article de janvier 2005 de Raymond N. Rogers, "Studies on the radiocarbon sample from the shroud of Turin"
  24. « Le suaire de Turin médiatisé et démystifié »
  25. Th. Heimburger, « Suaire de Turin : la fin d'une énigme ? », réponse à l'article de Science et Vie sur le Saint-Suaire, 27 août 2005.
  26. L'article de John L. Brown, Principal Research scientist au Georgia Tech
  27. Th. Heimburger, Suaire de Turin : La fin d'une énigme ? Réponse à l'article de Sciences & Vie sur le Sain Suaire, p. 10
  28. « Shroud of Turin's Authenticity Probed Anew », Discovery Channel, 21 mars 2008.
  29. John P. Jackson, « A New Radiocarbon Hypothesis », mai 2008.
  30. « Lab agrees to test Shroud of Turin for new theory », Chicago Tribune.
  31. Villarreal :« The results of the FTIR analysis on all three threads taken from the Raes sampling area (adjacent to the C-14 sampling corner) led to identification of the fibers as cotton and definitely not linen (flax) » in Le résumé des recherches; cf. le communiqué de presse
  32. Villarreal dans son résumé : « [T]he age-dating process failed to recognize one of the first rules of analytical chemistry that any sample taken for characterization of an area or population must necessarily be representative of the whole. The part must be representative of the whole. Our analyses of the three thread samples taken from the Raes and C-14 sampling corner showed that this was not the case. »
  33. Benford, Marino, "Evidence for the Skewing of the C-14 Dating of the Shroud of Turin Due to Repairs" Texte intégral et en 2002 avec deux nouveaux articles : "Textile Evidence Supports Skewing of Radiocarbon Date of Shroud of Turin (texte intégral) et "Historical Support for a 16th Century Restoration in the Shroud C-14 Sample Area" (texte intégral)
  34. Chemistry Today (Vol 26, Num 4, Jul/Aug 2008), “Discrepancies in the radiocarbon dating area of the Turin shroud”, Benford M.S., Marino J.G. ; Abstract :"Recent research reported new evidence suggesting the radiocarbon dating of the Turin Shroud was invalid due to the intrusion of newer material in the sampling area.", p. 4.
  35. Thibault Heimburger affirme que son analyse « confirme aussi les observations de Rogers, à savoir que l'échantillon Raes est constitué de fils mélangés lin/coton alors que le reste du linceul est du lin quasiment pur » et donc que « les fils qu'elle contient ne sont pas de même nature que les fils du linceul » in Sébastien Cataldo, Thibault Heimburger, Le linceul de Turin, « Et vous qui dites-vous que je suis ? », Éditions Docteur angélique, 2008. Cf. aussi l'article de Joseph G. Marino and Edwin J. Prior, « Chronological History of the Evidence for the Anomalous Nature of the C-14 Sample Area of the Shroud of Turin », pp. 24-25.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Pierluigi Baima Bollone, 101 questions sur le Saint Suaire, Saint-Augustin, 2001.
  • Jacques Évin, « La datation radiocarbone du Linceul de Turin », Les Dossiers d'archéologie, n° 306, septembre 2005, pp. 60-65.
  • Arnaud-Aaron Upinsky, La science à l'épreuve du Linceul, La crise épistémologique, Œil, 1990.
  • Arnaud-Aaron Upinsky, Le procès en contrefaçon du Linceul, F-X.de Guilbert, 1993.
  • Arnaud-Aaron Upinsky, L'énigme du Linceul - La prophétie de l'an 2000, Fayard, 1998.

Article publié sur Wikimonde Plus