François Lartigue (anthropologue)
François Lartigue (1942 † 2014), anthropologue français installé à Mexico, était spécialiste des populations indiennes au Mexique et au Guatemala.
Biographie
François Lartigue naît le , à Paris, où il passe toute son enfance. Il fait ses études supérieures à la Sorbonne dans les années 1960. Puis il suit à partir de 1967 la formation toute nouvelle (EPRASS) créée à la sixième section de l’École pratique des hautes études (EPHE), au sein de la Maison des Sciences de l’Homme. Cette formation pluridisciplinaire de deux ans est l’équivalent du Diplôme d’étude approfondi destiné aux étudiants de doctorat. C’est avec Claude Lévi-Strauss qu’il y prépare son mémoire.
C’est d’abord comme « coopérant » au Mexique pour un séjour de deux ans, au titre du service militaire, qu’il s’installe en 1969 pour plusieurs mois dans la Tarahumara, grâce à la recommandation de Lévi-Strauss qui lui assure l’accueil de Angel Palerm (es), au département d’anthropologie de l’Université jésuite (Iberoamericana). Ce dernier, Espagnol républicain installé au Mexique, est un organisateur essentiel de l’anthropolgie au Mexique.
En 1972 il travaille, comme vacataire du CNRS, au projet pluridisciplinaire organisé au Guatemala dans les hautes terres par Henri Lehmann (puis Alain Ichon) à San Andrés Sajcabaja. Il y retournera périodiquement avec ses collègues archéologues et sociologues, avec une longue interruption causée par la guerre civile jusqu’en 1986.
Il est recruté au CISINAH (es) mexicain (Centre de recherche de l’Institut national d’anthropologie et histoire), peu après la naissance de celui-ci, en 1975. C’est en 1980 que ce centre devient le CIESAS (es). Lartigue y est resté jusqu’à sa mort en jouissant d’une totale liberté, parce qu’en près de 40 ans il n’a guère cherché à disposer de financements pour lui-même ou pour des disciples ou autres jeunes chercheurs, et moins encore à obtenir les différents suppléments de salaire accordés en fonction de la « production » du chercheur. Il se contentait de l’essentiel : parler aux collègues et étudiants des problèmes qu’il voulait poser ou des lectures qui lui suggéraient ces problèmes. Ce qu’il a produit, c’est avant tout des questionnements menés oralement, qui ont diffusé dans la pensée de son entourage. Voilà comment il a pu vivre en milieu universitaire, à l’ancienne, en refusant les concurrences et les hiérarchies, aussi bien celles d’autrefois que celles de maintenant. À nous de récupérer les traces de cette manière de produire scientifiquement, principalement sous forme de commentaires oraux d’innombrables lectures.
François Lartigue est mort à Mexico le . C’était un homme de contacts chaleureux, ce dont atteste la cinquantaine de témoignages écrits réunis par ses amis en quelques semaines après sa mort : des collègues, mais aussi les enfants de ceux-ci, adolescents ou jeunes adultes. Tous remémorent le dandy, le provocateur, le lecteur infatigable, le questionneur. C’était aussi l’homme qui faisait découvrir le monde grâce aux voyages où il emmènait ses visiteurs.
Ses amis sont avant tout une génération : la sienne, arrivée à l’âge adulte dans le bonheur des Trente Glorieuses, quand les contraintes de la France traditionnelle avaient juste été dénouées en 1968 et quand les nouvelles contraintes professionnelles d’un monde moderne où personne n’a de place assurée ne s’étaient pas encore installées. Le Mexique, a été une seconde patrie pour sa famille comme pour lui.
L’anthropologie au Mexique et l’Amérique indienne
Les « terrains » de Lartigue ont été la Tarahumara et la Huasteca au Mexique, et les hautes terres au Guatemala. Il ne cessait d’inciter ses étudiants à travailler « sur le terrain », multipliant lui même les visites et séjours courts pour retourner auprès de ses réseaux d’informateurs. Mais à partir des années 1980, ce sont sans doute les séminaires thématiques qu’il a co-organisé qui ont le plus compté pour lui.
En 1987, il participe au Groupe de travail sur le droit coutumier indigène coordonné par Rodolfo Stavenhagen (es) (Colegio de México).
Face à la rébellion zapatiste au Chiapas (1994), Lartigue a toujours maintenu une position d’analyste critique. Prudent devant les projets d’« autonomie indigène », tout comme devant les organisations d’autodéfense et polices communautaires, il s’intéresse au droit, aux relations concrètes entre groupes indigènes et système de l’Etat national.
C’est pour analyser les changements politiques de la fin des années quatre-vingt-dix qu’il met en place plusieurs projets avec le LESC, laboratoire français, et co-organise un colloque franco-mexicain « Identités, Globalisation et Démocratie » au Colegio de San Luis (es), les 6-9 novembre 2000, et trois colloques en 2001, 2005 et 2007 sur la « transition démocratique » au Mexique et la mise en place de nouvelles formes de vote dans les communautés indiennes. Il organise également avec Víctor Franco Pellotier, Danièle Dehouve et Aline Hémond un Projet ECOS-ANUIES (2001-2006) et dirige un projet CONACYT (2002-2005) sur les processus électoraux en régions indiennes au Mexique. Ses interlocuteurs ont été principalement l’Institut Fédéral électoral mexicain, mais aussi la Fondation Ford et le PNUD des Nations Unies.
C’est également dans ce contexte qu’il organise au CIESAS (es) en 1997, avec María Teresa Sierra, un séminaire d’anthropologie juridique, transformé avec Victor Franco (1954-2004) en séminaire d’anthropologie politique qui fonctionne de 2001 à 2014, au rythme de sept séances par an et devient le lieu à Mexico où l’on débat de toutes les évolutions politiques concrètes que connaissent les populations indiennes au Mexique.
En 1998-99, avec André Quesnel, démographe français à l’IRD, il mène un séminaire permanent de réflexions sur les conditions d’établissement du recensement de 2000 au Mexique, avec des recherches de terrain dans le sud de l’état de Veracruz, pour détecter les formes cachées d’hétérogénéité des catégories du recensement et les discriminations qui s’y révèlent : transition démographique, migrations proches et lointaines, cohabitation des groupes ethniques en milieux ruraux ou urbains, possessions foncières des familles, sur quatre générations, sont les thèmes étudiés.
En 2004, il lance un séminaire sur le thème « discuter Arturo Warman » (1937-2003), à propos du livre de celui-ci El campo mexicano en el siglo XX (2001) Mexico, Fondo de Cultura Económica. C’est l’occasion, comme à propos du recensement de population, de questionner les structures mêmes de l’Etat mexicain, forgé par près de trois quarts de siècles de règne d’un parti unique, le Parti révolutionnaire institutionnel. La réforme des tenures foncières issues de la réforme agraire (ejido), la recomposition des familles paysannes au sein de ces « ejidos », la permanence d’un monde paysan et sa recomposition liée à des activités non agricoles, parfois majoritaires, au sein de celui-ci, sont quelques thèmes majeurs de ce questionnement.
En 2006, à 64 ans, Lartigue se consacre à un projet sur les populations paysannes indigènes de la Huasteca (plus précisément sur 38 communes des états de Hidalgo et de Veracruz), terrain qui lui est familier de longue date, comme la Sierra Norte de Puebla (es) voisine. Il évalue avec ses collègues la décadence de la culture du maïs, très liée à l’autosubsistance, décadence parallèle à la montée des activités dominées par le marché comme la culture du haricot ou l’élevage extensif.
Depuis le début des années 2010 surtout, le travail de terrain des anthropologues au Mexique s’est vu menacé par l’extension des zones d’insécurité liées en particulier au trafic de drogue. Lartigue cherchait à nuancer cette insécurité, persuadé que l’anthropologue devait savoir négocier son insertion dans le milieu local pour mener son travail. Il prônait une vision de cette insécurité sur un plus long terme, en relation avec des analyses des relations globales de l’Etat mexicain avec les segments de la société mexicaine. Face aux situations conflictuelles qui menaçaient ses collègues, il proclamait : « si nous tombons dans le piège de la peur, nous sommes frits ».
Bibliographie
Sur le Guatemala
- 1973, « Circulation des charges et organisation sociale à San Andrés Sajcabaja », Journal de la Société des Américanistes, LXII, p. 131-144.
- 1983, « L’organisation communautaire d’un village quiché : les politiques d’une réserve de main d’œuvre indienne », Henri Lehmann édit. San Andrés Sajcabaja, Peuplement, organisation sociale et encadrement d’une population dans les hautes terres du Guatemala, CEMCA, p. 103-113. [repris dans : San Andrés Sajcabajá, Estudio pluridisciplinario de un pueblo de la región oriental del Quiché, Guatemala, CEMCA, 1997, p. 97-106].
- 1991 « Eloge d’un mort et traces dans la cendre », Alain Breton et Jacques Arnauld ed., Mayas, la passion des ancêtres, le désir de durer, ed. Autrement, p. 276-282 [repris dans : Los Mayas, la pasión de los antepasados y el deseo de perdurar, Mexico, Grijalbo, 1995, p. 269-275]
- 1993, « Comunidad y municipalidad, San Andrés Sajcabaja durante los años ochenta », Alain Breton ed., Representaciones del espacio político en las tierras altas de Guatemala, CEMCA, p. 11-15
Sur la Tarahumara
- François Lartigue, Indios y bosques, políticas forestales y comunales en la Sierra Tarahumara, Ediciones de la Casa Chata n° 19, Cultura Sep, CIESAS 1983, 155 p., bibliographie, 4 cartes. À partir de travaux de terrain menés en 1969, puis en 1975-77, grâce à Angel Palerm (es) (1917-1980). Le pivot social des communautés tarahumaras est l’organisation en ejidos forestiers, où les différenciations sociales sont liées aux pratiques de ces communautés, les modes de travail au sein de l’ejido venant en conséquence. Mais ces pratiques sont encadrées par les règles de l’Etat mexicain et du système capitaliste de production du bois et de ses dérivés. Un appendice du livre (p. 141-147) est une réflexion sur l’enquête participative « présence perturbatrice », sur le choix du lieu central de l’enquête. Il nous dit que c’est grâce à Angel Palerm et Carmen Viqueira [son épouse], à Arturo Warman (es) et Guillermo Bonfil (es), qu’il a compris que les modes de l’anthropologie parisienne ne sont pas pertinentes sur son terrain. Ce livre est en somme l’enveloppe externe des études de Lartigue sur la Tarahumara. Il ne nous a guère donné par écrit les contenus de cette enveloppe…
- 1990, Entre la ley y la costumbre, Roberto Stavenhagen y Diego Iturralde ed., contribution de François Lartigue sur la Tarahumara.
Sur les nouvelles identités et l’anthropologie du vote
- F. Lartigue et al. (D. Dehouve, C. Gros et L. Reina) [éds] : « Identités, nations, globalisation, Colloque franco-mexicain, San Luis Potosí, novembre 2000 », Ateliers n° 26, Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative, 2003.
- F. Lartigue et al. (L. Reina, D. Dehouve et C. Gros) [éds] : Identidades en juego, identidades en guerra, Mexico, CIESAS/CONACULTA-INAH, 2006.
- F. Lartigue et al., « Preámbulo », in V. M. Franco Pellotier, D. Dehouve et A. Hémond (éds.) : Formas de voto, prácticas de las asambleas y toma de decisiones. Un acercamiento comparativo, Mexico, Publicaciones de la Casa Chata, 2011, p. 15-24.
Sur la démographie indienne
- F. Lartigue et André Quesnel (coords.) : Las dinámicas de la población indígena. Cuestiones y debates actuales en México, Mexico, CIESAS-IRD y Miguel Ángel Porrúa, 2003.
Notes et références
Sur le diplôme EPRAS de la 6e section de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, qui n'a duré quel le temps de la mise en place au niveau national français du Diplôme d'études approfondies (DEA) dans les sciences humaines, voir Giuliana Gemelli, Fernand Braudel, Odile Jacob, 1996, p. 346- 355.
Ichan Tecolotl (la casa del tecolote), Ciesas,Mexico, N° 287, Julio de 2014, Homenaje a François Lartigue, 36 p. (20 contributions): ce numéro spécial de revue contient les analyses de l'oeuvre de Lartigue présentées par quatre chercheurs français (Dr Charlotte Arnauld/ CNRS, Dr Odile Hoffmann/ IRD, Dr Yvon Lebot/ CNRS, DR André Quesnel/ IRD), cinq chercheurs de diverses institutions mexicaines (Dra Sara Raquel Baltazar, Dr Hubert C. de grammont/ UNAM, Mtro Diego Iturralde Guerrero/ CREFAL, Dr Fernando Saavedra/ FLACSO, Dra Mercedes Villacorta López), sept chercheurs du CIESAS, institution d'appartenance de Lartigue (Dra Alejandra Aquino, Dra Guadalupe Rodriguez Gómez, Dr Agustín Escobar Latapi/ Dr Gal, Mtra María Liliana, Mtra Arellanos Mares, Dra Marta Gallardo Sarmiento, Dra María Teresa Sierra.
Claude Bataillon, Un géographe français en Amérique Latine, quarante ans de souvenirs et de réflexions, Editions de l’IHEAL, Travaux et mémoires N° 79, 2008, 249 p., (p. 92-95). Version espagnole,Un geógrafo francés en América Latina, cuarenta años de recuerdos y reflexiones sobre México, 2008,El Colegio de México/El Colegio de Michoacán (es)/ Centro de Estudios mexicanos y centroamericanos, 165 p.[version electrónica 2013 sur le site web du CEMCA] (p.93-96).
Liens externes
Article publié sur Wikimonde Plus
- Portail de l’anthropologie